Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/618

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qu’ils flétrissaient : car s’ils avaient été unis de cœur à toute la force révolutionnaire, ils l’auraient plus sûrement réglée.

Qu’importent les intentions des hommes dans la période aiguë d’action révolutionnaire et de péril ? Qu’importe que les Girondins n’eussent pas le dessein de rétablir la royauté, si par leur inertie dénigrante ils préparaient la défaite de la Révolution ? Aussi, ceux des Montagnards qui ayant survécu aux événements gardèrent la force et la lucidité de la pensée, purent-ils reconnaître la part de prévention et d’erreur qui se mêlait en 1793 à leurs jugements sur la Gironde sans désavouer cependant le coup nécessaire dont ils l’ont frappée.

J’admire la belle et forte sérénité des paroles de Levasseur vieilli, parlant de la pétition des sections de Paris qui demandaient l’arrestation des Girondins :

« Si j’oublie un instant les événements qui se sont passés depuis cette adresse, pour me reporter au milieu des impressions du moment, si je me place dans la même situation qu’alors, si je parviens à rassembler autour de moi et les causes légitimes de défiance et le souvenir des luttes de chaque jour, et le dépit mêlé d’indignation que me faisaient éprouver les fautes nombreuses et les nombreuses calomnies de nos adversaires ; si je retrouve jusqu’aux préjugés mêmes dont il m’était impossible de me dépouiller entièrement, aujourd’hui comme alors je vois dans la pétition des sections des faits vrais, et des inductions qu’on avait le droit d’en tirer. Oui, les Girondins entravaient la marche du gouvernement révolutionnaire ; oui, ils compromettaient la cause de la France en refusant d’unir leurs forces aux nôtres contre l’aristocratie et l’Europe armée ; oui, ils étaient restés les amis de Dumouriez jusqu’au moment où ce chef s’était déclaré en révolte ouverte ; oui, ils avaient sans cesse provoqué la guerre civile en appelant les vengeances des départements contre le peuple de Paris. Aujourd’hui, comme alors, je ne puis révoquer ces faits en doute. Ils résultent des discours mêmes de nos adversaires et pour en constater la vérité, il suffit d’ouvrir le Moniteur ; mais alors la plupart d’entre nous, et moi tout le premier, nous voyions dans cette imprudente conduite des preuves flagrantes d’une trahison avérée. Comme les sections de Paris, nous voyions dans la communauté de vœux avec Dumouriez une communauté d’action et une entière complicité ; comme la Commune de Paris, nous voyions dans les entraves mises à tous nos mouvements une preuve certaine de conspiration contre la République que les ferments de guerre civile sans cesse répandus venaient corroborer de la manière la plus complète. Aujourd’hui, sans doute, je suis loin de juger de même ; un assez grand nombre de nos adversaires ont souffert pour la liberté, plusieurs d’entre eux ont déployé un trop beau caractère, principalement ce Louvet qui se montrait notre ennemi le plus acharné, pour que je doive voir seulement des fautes là où alors je croyais reconnaître des crimes. Nous étions injustes sans le savoir, et peut-