Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/648

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tenu lieu de loi. La raison et l’humanité substituèrent à ce mode barbare une convention qui assurait à tous les membres de la société la jouissance de ce qu’il avait entouré ou cultivé, et de ce qu’il pouvait légitimement acquérir. Alors il s’est trouvé des hommes actifs, laborieux, économes, industrieux et sobres ; ceux-là ont augmenté par leurs soins et leurs travaux les productions de leurs propriétés ; les autres, paresseux ou prodigues, n’ont pu trouver dans le rapport de leurs champs de quoi satisfaire à leurs besoins ; ils ont emprunté des premiers, et pour s’acquitter ensuite de leurs dettes, ils ont été forcés de céder à leur créancier une portion de leurs biens ; et leurs besoins de consommation ne diminuant pas avec le produit de leurs propriétés, un court espace de temps a suffi pour les priver de tout ce qu’ils pouvaient posséder. On dut aussi mettre dans cette classe les hommes appauvris par des revers, les pères surchargés d’une famille nombreuse, et ceux que les lois ont privés du droit de succession ; de là la misère et l’opulence ; de là le germe de tous les vices. De même que le chêne que le hasard a fait naître sur un sol aride et rocailleux n’a pu pousser qu’une tige rabougrie, de même celui qu’un terrain trop gras a fait croître, périt souvent par une sève trop abondante ; mais dès qu’un individu donne à la société ses bras, son courage et sa vie, cette même société doit fournir et pourvoir à sa subsistance, si des motifs réels ne lui permettent pas de se la procurer par lui-même ; car là où la société laissera un de ses membres périr de misère, tandis qu’elle aura dans son sein des membres opulents, il n’y aura ni humanité ni morale ; et là où tous les individus prétendraient à des fonctions ou à des revenus égaux, il faudrait consacrer en principe l’esclavage d’une partie pour travailler au profit des autres. Ce sont des vérités simples qu’on ne saurait trop publier pour détromper le peuple qu’on abuse. »

Quelle médiocre, plate et ennuyeuse dissertation ! Mais elle a cet intérêt de montrer comment l’universel soulèvement des choses avait mis en question dans les esprits la propriété elle-même. Et ceux mêmes qui en défendaient le principe convenaient qu’elle ne constituait par un droit naturel, qu’elle était un fait social, soumise par conséquent à des réglementations et conditions sociales. Harmand, député de la Meuse, dans « Quelques idées sur les premiers éléments du nouveau contrat social des Français », accentue bien plus vigoureusement, dans le sens égalitaire, cette sorte de subordination sociale de la propriété.

« Je ne sais s’il est réservé à la Convention nationale de France de découvrir enfin le secret du mécanisme social, ce secret échappé aux recherches de tant de siècles et de tant de générations qui nous ont précédés. Ce que je sais, c’est que désormais les droits de l’homme ne peuvent plus et ne doivent plus être réduits à tenir lieu d’une préface inutile et fastueuse à la tête de notre nouvelle Constitution. »