Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/650

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avec justice, et son mépris et sa désapprobation… Le plan de Constitution, présenté à la Convention nationale, les 15 et 16 février derniers, a-t-il atteint ce but ? En général, je crois que dans ce plan on s’est plus occupé des formes que du fond ou des principes de l’ordre social.

« …Je vais dire aussi succinctement que je le pourrai, quelle doit être, selon moi, la base de tout gouvernement pour le rendre durable et pour écarter, autant que la prudence humaine peut le faire, les éruptions morales toujours funestes aux générations. Mon opinion me fera bien des ennemis, j’aurai bien des contradicteurs, mais j’aurai satisfait à ma conscience et à la mission que j’ai reçue du peuple ; et il est temps de dire la vérité.

« Les hommes qui voudront être vrais avoueront avec moi qu’après avoir obtenu l’égalité politique de droit, le désir le plus naturel et le plus actif, c’est celui de l’égalité de fait. Je dis plus. Je dis que, sans le désir ou l’espoir de cette égalité de fait, l’égalité de droit ne serait qu’une illusion cruelle, qui, au lieu des jouissances qu’elle a promises, ne ferait éprouver que le supplice de Tantale à la portion la plus nombreuse et la plus utile des citoyens. J’ajouterai que les primitives institutions sociales ne peuvent même avoir eu d’autre objet que d’établir l’égalité de fait entre les hommes ; et je dirai encore qu’il ne peut pas exister, en morale, une contradiction plus absurde et plus dangereuse que l’égalité de droit sans l’égalité de fait ; car, si j’ai le droit, la privation du fait est une injustice. »

Harmand va-t-il donc proposer une révolution économique totale, ayant pour objet de réaliser l’égalité de fait, c’est-à-dire, si je le comprends bien, l’égalité de puissance, de propriété et de jouissance ?

« Je dois ici faire une déclaration importante : je déclare que, quelle que soit la rigueur de mes principes sur l’égalité. Je ne prétends pas au renouvellement de l’ordre social ni au nivellement convulsif des propriétés ; un tel projet ou une telle entreprise ne peuvent être conquis sans frémir sur les ravages et les catastrophes qui en seraient la suite, et la pensée ne peut pas s’y reposer ; mais je désire que des lois sages établies sur ces principes, soient les tutrices bienfaisantes de l’enfance de l’égalité ; je désire que par des institutions salutaires et progressives ces deux divinités de la terre soient élevées insensiblement à la hauteur qu’elles doivent atteindre. Une agitation plus violente ou plus longue ne pourrait que leur être funeste ; je sais qu’il n’en est pas d’un peuple vieilli dans les habitudes et dégradé par l’égoïsme et les préjugés, comme d’un peuple vierge : pour former un peuple vierge il n’y a rien à détruire, mais pour ramener un peuple corrompu à sa véritable institution tout est ruines, et il faut employer les plus sages précautions pour ne pas l’entraîner sous ces mêmes ruines.

« Les droits de l’homme, retrouvés par le citoyen Siéyès, lui ont mérité l’immortalité ; mais l’Assemblée constituante, en bornant ces droits à une égalité politique de droit, sans rien faire, ou pour ainsi dire rien, pour pré-