Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/651

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parer autant que possible l’égalité de fait, a ressemblé à un juge qui, ayant à juger un voleur encore saisi des objets volés, se contenterait de le condamner à la peine prononcée par la loi, sans prononcer la restitution ; le droit du propriétaire serait bien consacré par la peine infligée au voleur, voilà le droit ; mais ce droit serait illusoire sans la restitution, qui seule peut faire jouir le propriétaire de son droit. »

L’image est hardie et singulièrement révolutionnaire, car il est clair qu’Harmand ne vise pas seulement les droits féodaux abolis ; il pense à l’ensemble des abus, des privilèges, des monopoles, des violences qui ont livré à une portion de citoyens presque tout le sol, presque toute la richesse, et les classes possédantes, chargées des dépouilles arrachées pendant des siècles aux faibles, aux pauvres, aux dépendants, ont comparu devant la Révolution philosophique et abstraite comme devant un juge inerte qui aurait proclamé la déchéance de leur droit prétendu sans les obliger à restituer. Quelque lente et quelque prudente que soit donc l’opération des lois prévues par Harmand, c’est une restitution qu’elles tendent à accomplir. Oui, c’est une grave parole qui ne laisse subsister les formes présentes de propriété que comme une triste survivance de l’iniquité ancienne.

De ces prémisses si amples Harmand tire des conclusions très étroites :

« Mais comment les institutions sociales peuvent-elles procurer à l’homme cette égalité de fait que la nature lui a refusée, sans attenter aux propriétés territoriales et industrielles ? Comment y parvenir sans la loi agraire et sans le partage des fortunes ? Le secret est bien simple, c’est en prévenant les abus de la propriété et de l’industrie, c’est en empêchant que les propriétaires ne trafiquent la subsistance du pauvre ; tout dépend de là, et plus le secret est simple, plus il est vrai.

« Il faut maintenir, sans doute, le respect des propriétés ; mais l’erreur la plus funeste et la plus cruelle dans laquelle l’Assemblée constituante, l’Assemblée législative et la Convention nationale soient tombées, en marchant servilement sur les pas des législateurs qui les ont précédées, c’est, en décrétant le respect et le maintien des propriétés, de ne pas avoir marqué les bornes de ce droit, et d’avoir abandonné le peuple aux spéculations avides du riche insensible.

« Ne cherchons point si, dans la loi de nature, il peut y avoir des propriétaires et si tous les hommes n’ont point un droit égal à la terre et à ses productions ; il n’y a point de doute, et il ne peut y en avoir entre nous sur cette vérité. Mais, ce qu’il importe de savoir et de bien déterminer, c’est que si dans l’état de société, l’utilité de tous a admis le droit de propriété, elle a dû aussi limiter l’usage de ce droit, et ne pas le laisser à l’arbitraire du propriétaire ; car, en admettant ce droit sans précaution, l’homme qui, par sa faiblesse dans l’état de nature, était exposé à l’oppression du plus fort, n’aura fait que changer de malheur par le lien social. Ce qui était faiblesse