Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/653

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rément adoptées à ce sujet ne m’ont paru qu’un palliatif d’autant plus immoral et impolitique, que le mode de secours par elle décrété, devenant une charge du Trésor public, non seulement pèsera dans des proportions plus ou moins grandes sur l’infortuné qui par ce moyen ne fera que recevoir d’une main ce qu’il aura donné de l’autre ; mais encore il produira cet effet que le riche n’aura satisfait, par son impôt, qu’aux charges communes, telles que l’entretien de la force publique, l’administration, etc., et qu’il n’aura rien fait pour le pauvre, dont la fastueuse égalité de droit ne servira qu’à lui faire sentir plus cruellement la privation de l’égalité de fait ; car on a beau dire que le pauvre jouit, comme le riche, d’une égalité commune aux yeux de la loi, ce n’est là qu’une séduction politique ; ce n’est pas une égalité mentale qu’il faut à l’homme qui a faim ou qui a des besoins. Il l’avait, cette égalité, dans l’état de nature. Je le répète, parce que ce n’est pas là un don de la société, et parce que, pour borner là les Droits de l’homme, il valait autant et mieux pour lui rester dans l’état de nature, cherchant et disputant sa subsistance dans les forêts ou sur le bord des mers et des rivières.

« Depuis le mode de secours publics adopté par la Convention, Danton a proposé et fait adopter une mesure plus efficace, et que l’on peut regarder comme le premier pas vers l’égalité de fait ; c’est en faisant ordonner que ce qui excéderait ce prix serait supporté et payé par le riche, mais indépendamment des doubles opérations et de la complication de cette mesure, j’y trouve un inconvénient très grave et qui produirait des réclamations infinies par l’arbitraire inévitable, quelques précautions que l’on prenne, dans la répartition de l’excédent du prix auquel le pain serait vendu au pauvre.

« Cette mesure produira encore une autre difficulté aussi grande, et une opération pour ainsi dire impraticable. À quel titre, par exemple, reconnaîtra-t-on le pauvre ? Quelle sera la ligne de démarcation pour reconnaître le citoyen qui aura droit au bénéfice de la taxe et celui qui ne devra pas en profiter ? Cette taxe ne donnera-t-elle pas l’occasion et la tentation à la cupidité de se parer de la livrée du pauvre ? Voilà, sans doute, des réflexions qui ne sont point dictées par le fiel de l’envie ni par celui de la critique ; je les crois fondées sur la raison et sur l’expérience du cœur humain.

« Mais quel a été l’objet de Danton en proposant cette loi qui honore autant ses principes que son cœur ? C’est de faciliter la subsistance du pauvre et de la proportionner à ses ressources ; c’est de la garantir de la cupidité du riche, en faisant supporter à celui-ci une partie de la consommation de celui-là. Eh bien, sans complication de moyens, et sans les revirements nécessités par la loi décrétée sur la proposition de Danton, il est très facile d’atteindre le but qu’il s’est proposé, et depuis très longtemps les moyens vous en sont indiqués par les réclamations multipliées des départements et des citoyens ; c’est de déterminer le droit de propriété, c’est d’en limiter l’usage, c’est en combinant avec justice le prix des denrées de première nécessité