Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/654

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avec les ressources du pauvre, de fixer invariablement, et d’une manière conforme pour toute la République, le prix de ces denrées.

« Il paraît peut-être bien singulier que je prétende que les droits de l’homme et du citoyen consistent dans la taxe des productions de la terre, et je me suis attendu à un soulèvement d’opinion sur cette proposition, mais quel que puisse être cet étonnement, je déclare que je ne connais la liberté et l’égalité nulle autre part, ni dans aucun autre moyen, et je soutiens qu’elles ne peuvent exister sans la mesure que je propose.

« Je connais aussi bien qu’un autre les distinctions que l’on a faites entre l’égalité de droit et l’égalité de fait, entre légalité politique et l’égalité civile ; je sens la différence et j’en ai saisi les nuances. Mais je sais bien aussi que si ces distinctions ne sont pas des jeux de mots, elles sont au moins un subterfuge d’autant plus adroit qu’il plaît à l’imagination ; je sais aussi que deux choses différentes entre elles ne s’excluent pas pour cela, et si quelques institutions humaines ont droit à la comptabilité sociale, c’est l’égalité de droit et l’égalité de fait ; la seule différence, c’est que l’égalité de droit est absolue et que celle de fait ne l’est pas, et ne peut pas l’être, au moins jusqu’à présent. Je trouve en cela deux vérités ultérieures ou deux conséquences indispensables ; la première, c’est que plus il est difficile d’atteindre l’égalité de fait, plus la société doit y tendre pour garantir l’égalité de droit, c’est son principal objet ; la seconde, c’est que les citoyens ne peuvent rien exiger au delà, et que le nivellement parfait des fortunes ou des richesses étant aussi impossible que celui des facultés morales ou intellectuelles des individus ou des inégalités de la terre, la société aura fait tout ce qu’elle doit à cet égard, lorsqu’elle aura réparé les inégalités monstrueuses qui existent, et prévenu celles qui pourraient survenir. C’est pour les mêmes raisons et pour les mêmes causes que la société devrait donner la même instruction à tous ses membres ; quoique tous ne dussent pas en profiter avec le même succès ou le même avantage, cependant cette différence, loin d’être un motif de l’en dispenser, augmente au contraire son obligation à cet égard.

« Ces maximes ne furent jamais celles d’aucun gouvernement ; on admit au contraire des distinctions de race et de naissance ; on poussa le délire jusqu’à supposer de la différence dans le sang, et le peuple crédule et trompé crut que ces distinctions chimériques entraînaient nécessairement celle des richesses ; les prêtres survinrent, dès leur naissance esclaves rampants des tyrans, devenus ensuite leurs rivaux, et toujours au nom du ciel, disputant, partageant l’autorité ou le droit de tromper et de vexer les hommes, leur prêchant le dépouillement des biens de la terre pour se les approprier plus facilement, leur montrant et leur promettant les cieux pour les consoler, disaient-ils, mais dans le fait pour les empêcher de réfléchir sur leur situation et sur leurs droits, et pour enchaîner leur raison en agitant et tourmentant leur imagination par je ne sais quelle invention d’enfer et de paradis.