Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/655

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« C’était sans doute une ingénieuse et belle distraction que celle de s’occuper du ciel pour oublier la terre ; mais elle a cessé, et les hommes trop longtemps trompés, sauront, je l’espère, avec les services des nouveaux ministres du culte qu’ils se sont choisis, se garantir désormais de ces erreurs et concilier le ciel avec la terre. Ils leur apprendront, ces ministres, que l’homme qui fait le bien sur la terre voit sans crainte rouler les cieux au-dessus de sa tête.

« Quoi qu’il en soit, avant de réduire nos idées et nos principes, je crois devoir prévoir et répondre à quelques objections qui me seront faites.

« La première et la plus dangereuse, quoique la plus immorale, c’est le prétendu droit de propriété dans l’acception reçue. Le droit de propriété ! Mais quel est ce droit de propriété ? Entend-on par là la faculté illimitée d’en disposer à son gré ? Si on l’entend ainsi, je le dis hautement, c’est admettre la loi du plus fort, c’est tromper le vœu de l’association, c’est rappeler les hommes à l’exercice des droits de la nature, et provoquer la dissolution du corps politique. Si, au contraire, ou ne l’entend pas ainsi, je demande quelle sera donc la mesure et la limite de ce droit ? Car enfin, il en faut une. Vous ne l’attendez pas, sans doute, de la modération du propriétaire. Eh bien, citoyens, vous ne la trouverez que dans la taxe directe et immédiate des denrées de première nécessité.

« Voulez-vous de bonne foi le bonheur du peuple ? Voulez-vous le tranquilliser ? Voulez-vous le lier indissolublement au succès de la Révolution et à l’établissement de la République ? Voulez-vous faire cesser les inquiétudes et les agitations intestines ? Déclarez aujourd’hui que la base de la constitution des Français sera la limite du droit de propriété, et la taxe des denrées de première nécessité, telles que le blé, la viande et le bois.

« Citoyens, ce n’est plus dans les esprits qu’il faut faire la révolution, ce n’est plus là qu’il faut chercher son succès ; depuis longtemps elle y est faite et parfaite ; toute la France vous l’atteste ; mais c’est dans les choses qu’il faut enfin que cette révolution de laquelle dépend le bonheur du genre humain se fasse sentir toute entière. Eh ! qu’importe au peuple, qu’importe à tous les hommes un changement d’opinion qui ne leur procurerait qu’un bonheur mental ? On peut s’extasier, sans doute, pour ce changement d’opinion, mais ces béatitudes spirituelles ne conviennent qu’aux beaux esprits et aux hommes qui jouissent de tous les dons de la fortune. Il leur est facile, à ceux-là, de s’enivrer de la liberté et de l’égalité, le peuple aussi en a bu la première coupe avec délices et transport, il s’en est aussi enivré, mais craignez que cette ivresse ne se passe, et que, revenu plus calme et plus malheureux qu’auparavant, il ne l’attribue à la séduction de quelques factieux, et qu’il ne s’imagine avoir été le jouet des passions ou des systèmes et de l’ambition de quelques individus. La situation morale du peuple n’est aujourd’hui qu’un beau rêve qu’il faut réaliser, et vous ne le pouvez qu’en faisant dans les choses la même révolution