Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/656

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que vous avez faite dans les esprits. Seriez-vous donc comme ces prêtres dont je vous ai parlé, qui spiritualisaient tout, et qui montraient et promettaient au peuple les cieux qu’on ne peut atteindre, pour s’approprier la terre qui nourrissait leur impudence et leur orgueil ? Les besoins ne se spiritualisent pas : la liberté et l’égalité sont, sans doute, les deux premières divinités de la terre, elles sont les deux premiers dons de la nature, mais pour en jouir éternellement, il faut avoir la part aussi à tous ses autres dons.

« J’ai prévu, ou du moins je crois avoir prévu les effets qu’une semblable mesure occasionnera dans tous les attributs moraux et physiques de la vie, et dans leurs accessoires. J’ai prévu une révolution dans le commerce, une réduction dans le prix de toutes les autres productions de la terre, et dans celles de l’industrie de l’homme ; mais, je le répète, il faut que cette révolution se fasse ou l’autre est manquée.

« L’homme est composé de deux substances assez distinctes ; l’une que l’on dit spirituelle, et l’autre que l’on appelle matérielle ou bien sensible. La révolution est faite pour la première, il faut aussi qu’elle se fasse pour la seconde. Non, plus de charlatanisme, allons une bonne fois au fait et à la source du mal. Faisons cesser les inquiétudes du riche et les besoins du pauvre. Assurons la propriété des uns, nous assurerons ainsi la subsistance des autres. »

N’est-ce pas comme une première formule de la saint-simonienne « réhabilitation de la chair » ? Il y a, semble-t-il, une disproportion assez étrange entre les prémisses d’Harmand de la Meuse et ses conclusions. Proclamer que l’égalité de droit doit être complétée et réalisée par l’égalité de fait, déclarer que la société doit tendre, par tous les moyens, à l’égalité réelle des conditions, et conclure ensuite simplement que la nation peut et doit taxer le blé, la viande et le bois, c’est, semble-t-il, solliciter de vastes principes pour d’assez modestes conséquences. Mais Harmand était obsédé, comme tous les Conventionnels, par les réclamations du peuple souffrant que la hausse des denrées ou accablait ou inquiétait, et c’est sous la forme du problème des subsistances que lui apparaissait le problème social. Il y avait une grande illusion à croire que la taxe de quelques denrées de première nécessité atténuerait sensiblement les inégalités sociales. À moins d’être poussé à ce degré où toute rente de la terre aurait été absorbée et où les biens décidément improductifs ou onéreux auraient été abandonnés à la nation et aux paysans (et Harmand se défend expressément d’avoir voulu un instant ces conséquences), elle laissait subsister tout le jeu de la propriété, elle laissait se développer toute la puissance du capital.

Mais ce qui est intéressant dans les vues d’Harmand, ce n’est pas l’application qu’il fait de ses principes. Cette application est toute dominée par les circonstances du moment. Ce qui importe, c’est d’abord qu’il ait songé à inscrire dans la Déclaration des droits de l’homme la limitation du droit de