Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/667

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

1793, organise surtout le collectivisme de la production. En soi, la question de l’héritage lui paraît secondaire, et elle l’est en effet le jour où tous les moyens de production constituent le patrimoine permanent, l’héritage indivisible et indéfectible de tous les producteurs.

Mais quand le marxisme consent à chercher le moyen de transition et d’application, quand il se demande comment la propriété capitaliste sera transformée en propriété sociale, il est amené à prévoir (avec Vandervelde, avec Kautsky, par exemple) qu’il sera sage d’indemniser les détenteurs actuels, et que c’est un impôt vigoureusement progressif sur l’héritage qui fournira les fonds de cette indemnité. Qu’est-ce autre chose que demander à l’héritage nationalisé ou, comme disait Billaud-Varennes, à la succession nationale, le moyen de fournir à tous les travailleurs leur instrument de travail ? La seule différence, et elle est de forme plus que de fond, c’est que Billaud-Varennes remettait cet instrument à titre individuel et que le marxisme évolutionniste de Vandervelde et de Kautsky le remet à l’ensemble des travailleurs sous forme collective.

Les pensées d’un homme comme Billaud-Varennes et des démocrates révolutionnaires extrêmes qui n’allaient pas jusqu’au communisme mais qui en ouvraient les accès, forment une sorte de trésor ambigu où peuvent puiser également les vrais radicaux et les socialistes. C’est par ces communications historiques et juridiques, c’est par ces galeries dont la Révolution est le nœud que le radicalisme extrême et le socialisme peuvent parfois se rejoindre.

Il y aurait témérité à s’exagérer la valeur de cette tradition à demi commune. Il y aurait aussi un vrai gaspillage de force historique à la méconnaître. Notez bien que la pensée de Billaud-Varennes dépasse sensiblement le niveau de la pensée révolutionnaire en 1793.

Lorsque je recueille les idées les plus hardies de la démocratie de 1793, lorsque je rapproche en une sorte de tableau le communisme de l’éducation de Lepelletier, le communisme des subsistances d’Harmand, le communisme de l’héritage de Billaud-Varennes, je m’exposerais à éblouir le lecteur si je ne lui rappelais sans cesse que je groupe les formules extrêmes. Mais si ces hommes étaient, en quelque façon, des isolés, s’ils allaient un peu au delà de leur temps, ils n’étaient pas des excentriques.

Lepelletier, je l’ai dit, réussit presque, par Robespierre, à imposer son système à la Convention. La doctrine d’Harmand prit corps dans la législation du maximum. Et Billaud-Varennes exerça sur les Jacobins, sur la Convention, sur le Comité de salut public une action si profonde qu’assurément ses conceptions sociales n’avaient pas créé une sorte de divorce entre la Révolution et lui.

Toutes ces idées ne sont pas des semences égarées, jetées au hasard des vents par la fantaisie passagère de la Révolution surexcitée : ce sont des germes qui lentement mûriront et évolueront en formes parfois imprévues