Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/676

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pouvait être comparée. Mais la nature est aveugle, comment peut-elle produire des êtres clairvoyants ? Cette objection tombe d’elle-même, car la nature ne produit rien ; tout ce qui la compose existe éternellement ; ce que nous appelons vulgairement l’enfant de la nature est aussi vieux que sa mère. N’allons pas expliquer l’existence d’une nature incommensurable par l’existence d’une autre nature incommensurable. Vous cherchez l’Éternel hors du monde, et je le trouve dans le monde. Je me contente du cosmos incompréhensible, et vous voulez doubler la difficulté par un Theos incompréhensible… »

Et Clootz, en note de son discours, rappelle ce qu’il a dit de l’âme dans son Testament philosophique :

« Notre âme est une chimère aussi ridicule que le fantôme appelé Dieu… Un brin d’herbe a beaucoup de rapport avec l’homme le mieux organisé. Ensevelissez-moi sous la verte pelouse pour que je renaisse par la végétation ; métempsycose admirable dont les mystères ne seront jamais révoqués en doute. Mais je n’aurai pas le souvenir de mon existence première ; et que m’importe pourvu que j’existe agréablement ! Il ne s’agit pas ici de récompenses ou de peines théologiques ; je consulte la nature qui me dit de mépriser la théologie. La nature est une bonne mère qui se plaît à voir naître et renaître ses enfants sous des combinaisons différentes. Un profond sommeil ne laisse pas que d’avoir son mérite. »

Or, pendant que Clootz développait toute sa conception (athée ou panthéiste), pendant qu’il produisait l’unité humaine de l’unité cosmique, la Convention ou s’étonnait ou protestait en riant. Les railleries, les rappels à la question abondèrent. Que nous veut ce rêveur qui crée une République universelle, une République planétaire, à l’heure où l’étroite République française est en péril, et risque de sombrer dans le chaos humain ? Est-ce cette métaphysique que les soldats emporteront à la frontière menacée ? Les hommes du xviiie siècle étaient habitués aux larges horizons ; et, par Fontenelle, par Newton, par Voltaire, par Buffon et Diderot, ils s’étaient familiarisés avec le vaste univers. Ce fut pourtant une surprise pour eux et presque un scandale quand Clootz, devant la grande assemblée qui portait en elle le pesant orage de la terre, marqua le point de vue sidéral et hautain d’où la diversité des peuples et des races se fondait pour le regard en une continuité humaine doucement nuancée. Hautain ? Non ; ce n’est pas en curieux, ce n’est pas en observateur détaché et lointain que Clootz regarde les hommes et les nations : il s’éloigne et s’élève juste assez pour mieux voir leur unité. Mais la Convention ne voulut pas dissiper sa pensée, son regard, ses efforts dans le vaste horizon cosmique. Elle ne voulut même pas les répandre sur toute la surface planétaire : elle préservait le champ de France, les sillons tourmentés où germaient les espérances prochaines et, au-dessus de ce champ étroit et sacré, elle voyait luire la rouge étoile de Mars. Pourtant, ce grand visionnaire de