Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/678

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de marquer les grandes étapes prochaines. Or, il a sauté par-dessus toute une période où nous nous débattons encore. Il n’a pas pressenti que c’est d’abord sous la forme « nationaliste » que l’humanité préparerait la définitive unité économique et politique.

Entre l’assujettissement monarchique et féodal et la liberté absolue de la démocratie humaine, les démocraties nationales à demi rivales, à demi fraternelles ont été une transition nécessaire. On ne pouvait passer d’emblée de l’infini morcellement féodal à la centralité humaine : les nations ont été et elles sont encore de nécessaires foyers multiples où s’élabore l’unité. Quand Clootz oppose à la concorde forcée de Marseille et de Bordeaux, que règlent les lois d’un même pays, les rivalités et les guerres de Gênes et de Venise, sa conclusion immédiate devrait être : l’unité italienne doit se constituer sur le modèle de l’unité française. Mais il franchit ce stade intermédiaire et c’est dans l’ample sein de l’unité humaine qu’il concilie Venise et Gênes. Il constitue l’humanité avant de constituer l’Italie, et on ne sait plus quelles prises il aura sur l’énorme matière humaine dispersée et incohérente. Il manque à son panthéisme l’idée d’évolution : la nature ne produit pas, elle révèle seulement sous les formes du temps des existences éternelles. De même, il méconnaît dans le monde humain la loi de l’évolution historique ; et il suppose réalisé d’emblée le plan auquel devront travailler obscurément bien des générations. Il est conduit ainsi à proscrire les types sociaux de transition, les arrangements humains qui préparent l’unité sans l’accomplir. Il déteste la forme de fédération des États-Unis d’Amérique, et il est vrai qu’à l’époque de Clootz cette fédération n’avait qu’un lien très lâche. Il a eu raison de discerner tout ce qu’elle recouvrait d’antagonismes, tous les germes de guerre civile qu’elle portait. Mais il n’a pas assez vu aussi qu’elle était l’humble et nécessaire degré par où l’antagonisme politique et économique d’États multiples s’acheminait à une centralité plus haute, à une plus harmonieuse unité. Et quel progrès immense ce serait d’instituer, entre les divers États du monde, des liens analogues à ces liens fédéraux ! Le nationalisme fragmentaire, le nationalisme national ne s’élargira pas d’emblée en nationalisme humain : il passera par des formes d’« internationalisme » et une de ces formes sera la fédération des États.

Clootz ne se représente pas la vie de l’humanité organisée en une nation unique comme une vie uniforme, réglée sur un modèle universel par une administration centrale. Il la conçoit comme le régime d’un État unique, subdivisé, non pas en nations autonomes, mais en départements et où chaque département aurait une large initiative. Mais qui ne voit qu’il renverse l’ordre des termes historiques ? Dans sa pensée la diversité est octroyée par l’unité humaine. Dans le mouvement de l’histoire c’est la diversité qui, en s’organisant, aboutira à l’unité.

Mais comment Clootz pouvait-il, sans un délire de l’esprit, compter sur