Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/680

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la République française. Les tyrans de l’Europe ont allumé la guerre ; les assemblées primaires de l’Europe proclameront la paix. »

De cette paix éternelle et proche, Clootz est si sûr, il est si convaincu que l’Europe tout au moins ne formera bientôt qu’un État libre, qu’il demande à la France révolutionnaire et libératrice de se dépouiller d’avance de la particularité nationale du nom de France pour que la réunion des autres États ne ressemble pas à une annexion… Est-ce par un reste de patriotisme germanique qu’il propose le nom de Germain ? Est-ce pour ménager l’amour-propre d’un peuple qui aura reçu de la France la Révolution toute faite ? Ou bien le sens mystique du mot Germain (germani, les frères) décide-t-il Clootz ?

Il se risque à une motion hardie, mais dont nous ne pouvons avoir, nous Français d’aujourd’hui, le vrai sens que si nous oublions les défaites récentes de notre pays, pour ne nous rappeler que l’éblouissement de gloire nationale et révolutionnaire qui, en avril 1793, donnait à l’abandon d’un nom victorieux je ne sais quoi de généreusement fraternel.

« Appartenir à la France, c’est s’appartenir à soi-même… Mais pour effacer tous les prétextes et tous les malentendus, et pour ôter aux tyrans, nos ennemis, une arme perfide, je demande la suppression du nom de Français, à l’instar de ceux de Bourguignons, de Normands, de Gascons. Tous les hommes voudront appartenir à la République universelle ; mais tous les peuples ne voudront pas être Français. La prévention de l’Angleterre, de l’Espagne, de l’Allemagne ressemble à celle du Languedoc, de l’Artois, de Bretagne qui substituèrent à leur dénomination particulière celle de la France ; mais aucune de nos provinces n’aurait consenti à porter le nom d’une province voisine. Nous sommes les déclarateurs des droits de l’homme, nous avons renoncé implicitement à l’étiquette de l’ancienne Gaule pour France. Une renonciation formelle nous couvrira de gloire en avançant d’un siècle les bénéfices de la République universelle. Il serait très sage et très politique de prendre un nom qui nous concilierait une vaste contrée voisine, et comme notre association est une véritable union fraternelle, le nom de Germains nous conviendrait parfaitement. »

Mais quel est le régime social dont Clootz prévoit le triomphe dans la grande nation humaine ? J’ai déjà montré comment, dans l’agitation qui suivit le Dix-Août, Clootz combattit « la loi agraire », entendue par lui comme le partage de toutes les fortunes mobilières et immobilières. Ce fils de grands banquiers répugnait à ce morcellement, non par égoïsme de riche, mais parce qu’il lui paraissait que cette division extrême de la richesse et du sol enracinerait chaque individu dans sa condition médiocre, et immobiliserait le monde humain. Seuls les grands capitaux pouvaient, par leur mouvement continu à travers toutes les frontières, par leur va-et-vient à travers les nations et les races, tisser la trame économique de la future unité humaine.