Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/687

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subsistances et du pain, pouvait paraître le mieux disposé à accueillir des idées hardies. Les communistes épars avaient-ils donc, en 1793, renoncé à leurs espérances et à leur idéal ? Buonarotti nous dit nettement le contraire :

« Ce fut surtout après le 10 août 1792 que les hommes que je viens de désigner (les amis de la liberté et de la justice) conçurent les plus flatteuses espérances et redoublèrent d’efforts pour assurer le triomphe de leur cause sublime. Au mérite des conceptions de Jean-Jacques, ils ajoutèrent la hardiesse de l’application à une société de vingt-cinq millions d’hommes. »

Cela est dans l’ordre de la Révolution : comment donc expliquer leur apparente réserve théorique ? Comment, par exemple, ne profitèrent-ils pas de la consultation politique et sociale ouverte par la Convention dès ses débuts pour proposer à la France, en un manifeste retentissant, le plan d’une société où toutes les richesses industrielles et territoriales seraient la propriété de tous ? Il y a des raisons particulières à Babeuf, c’est-à-dire au plus fervent et au plus informé d’entre eux. Il se débattait à ce moment dans des difficultés redoutables. Il était accusé (injustement accusé comme l’établira Gabriel Deville par les documents inédits et décisifs qu’il a trouvés) d’avoir faussé un acte de vente. C’est le 7 février 1793 que l’administration départementale de la Somme ratifiait la suspension de Babeuf et renvoyait son affaire à l’accusateur public de Montdidier. Babeuf vint alors à Paris réclamer contre sa suspension et il y resta. Entré, par la protection de Sylvain Maréchal, à l’administration des subsistances, il trouva dans cet emploi révolutionnaire non seulement un moyen d’existence pour lui et les siens, mais un abri contre les poursuites. Seulement il est probable que, sous le coup de toutes ces préoccupations, et risquant à tout moment d’être appréhendé s’il se signalait trop vivement à l’attention publique, il se borna à préciser, dans le maniement de cette vaste administration sociale des subsistances, et à fortifier silencieusement sa conception communiste. Mais, outre ces raisons particulières à Babeuf, le communisme avait des raisons générales d’être prudent, de ne pas s’étaler, et de préférer l’action discrète et profonde à d’éclatantes manifestations. La Révolution n’en était plus à cette période incertaine et indéfinie des débuts où toutes les idées pouvaient se produire sans scandale, précisément parce qu’elles paraissaient avoir un caractère utopique. Qui pouvait prendre peur, par exemple, des complaisances de Mably pour la prétendue innocence primitive et le prétendu communisme primitif ? Au fond, après avoir gémi sur les vices que le régime de la propriété individuelle a introduits parmi les hommes, il reconnaît l’absolue impossibilité de déraciner cette propriété :

« Dès que la propriété est connue parmi les hommes, il serait inutile de vouloir leur ôter l’envie de s’enrichir ou d’accroître leur fortune : la loi doit se borner à tempérer l’avarice. »

Et tout se résolvait par des projets de loi somptuaire et des plans d’édu-