Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/690

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essentiel et indispensable du véritable ordre moral et de l’éducation sociale des hommes dans la connaissance, la pratique, l’amour et l’habitude des principes et des moyens de se rendre et de se conserver heureux les uns par les autres.

« Dic mihi, vere Deus, quæ sit sapientia regum,
« Prave impostorum, non tua jussa, sequi ? »


« Vrai Dieu, dis-moi quelle est la sagesse des rois,
« De préférer l’imposture à tes lois ? »

Préface bénigne qui couvrait le livre le plus « subversif ». Mais voici que pendant qu’on l’imprime tonne le canon de la Bastille, Boissel accourt pour ainsi dire aux événements ; et c’est à la liberté toute jeune qu’il propose son plan communiste :

« Cet ouvrage a été livré à l’impression deux mois avant la miraculeuse et à jamais mémorable journée de l’enlèvement de la Bastille. Puissances du ciel qui venez d’affranchir pour jamais la nation française du plus honteux esclavage et des persécutions infernales des monstres de l’humanité, des tyrans, achevez votre ouvrage ; que le triomphe pour sa liberté ne soit pas séparé du triomphe de la véritable lumière, sans laquelle l’homme ne saurait en faire usage que pour son malheur. »

Boissel prétendait donc animer le pic qui venait de faire brèche à la Bastille, à renverser toutes les idoles sociales, la religion, la famille, la propriété. Mais si, dans le tumulte des événements, le livre de Boissel ne passa pas inaperçu, la cour ne dut pas s’en émouvoir, car il pouvait constituer une diversion ou un épouvantail. Et la bourgeoisie, avec sa garde nationale conservatrice de la propriété, ne s’inquiéta guère sans doute de ce qui n’était encore à ses yeux qu’une boutade. C’est pourtant l’indice que le communisme veut sortir de la phase romanesque et platonique pour entrer dans la réalité, pour se mêler à ses batailles. La pensée socialiste, latente en plusieurs esprits, s’éveille au mouvement de la Révolution ; et ceux qui désirent une répartition nouvelle des richesses, une forme nouvelle de la propriété, essaient de tirer à eux la formule révolutionnaire. Ils donnent à la Déclaration des Droits de l’Homme une interprétation singulièrement inquiétante pour la bourgeoisie. Gabriel Deville me signale un livre intitulé : De la propriété ou la cause du pauvre plaidée au tribunal de la Raison, de la Justice et de la Vérité. Il a, comme épigraphe, un verset du psalmiste : « Non in finem oblivio erit pauperis ; patientia pauperum non peribit in æternum. (Psalm. 9.) Le pauvre ne sera pas éternellement omis ; sa longue patience aura enfin un terme. » Or, ce livre, écrit à la fin de 1789 comme l’indique une note, et publié seulement en 1791 « à Paris, rue Jacob, vis-à-vis celle Saint-Benoît, faubourg Saint-Germain, no 29 », met à profit l’action révolutionnaire qui s’est développée dans l’intervalle, et il place ses revendications d’égalité sociale sous l’autorité des