Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/71

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salut des révolutions. Il ne pardonnera pas aux hommes qui ont imposé une trop longue attente au rêve absolu de son esprit, à l’impatience de son orgueil, et comme il ne faut pas que la vertu périsse, il assurera la victoire de ce qu’il se complaît à appeler la minorité, par la mort et par la terreur. Lui-même, il sait bien que, dans cette âpre lutte, il risque sa vie : il évoque l’échafaud de Sidney pour y monter à son tour ; et ce qu’il y a de tragique, c’est qu’en effet il y montera, mais qu’il y fera monter d’abord ceux contre lesquels il se prévaut maintenant du sublime privilège de la mort. Vergniaud, que Robespierre essaie de dominer, en ce moment, du haut de l’échafaud de Sidney, y montera avant lui et par lui. Ah ! quel formidable débat de priorité va s’ouvrir !

« On nous accuse, s’écrie Vergniaud, on nous dénonce, comme on faisait le 2 septembre, au fer des assassins ! Mais nous savons que Tibérius Gracchus périt par les mains d’un peuple égaré, qu’il avait constamment défendu. Son sort n’a rien qui nous épouvante : notre sang est au peuple ; nous n’aurons qu’un regret, celui de n’en avoir pas davantage à lui offrir. »

C’est comme une émulation de tous les partis de la Révolution, et de tous ses grands hommes, devant la mort. À tous, l’histoire offre de glorieux précédents dont ils s’emparent, de nobles analogies dont ils se réclament. Oui, il y a, dans l’histoire, promesse de mort pour tous, et envers tous la Révolution s’acquittera. Ils ont déjà le vertige du sacrifice, et la dangereuse ivresse de la mort est en eux. La mort est une solution commode qui dispense de chercher d’autres solutions. La Révolution menacée ne pouvait se sauver que par l’unité d’action des révolutionnaires. Cette unité d’action, ils n’auraient pu la réaliser qu’en renonçant aux prétentions exclusives et aux soupçons démesurés, et en affirmant ce qu’il y avait de commun et d’essentiel dans leurs tendances un peu diverses. Il leur fut plus facile de la réaliser par simplification, c’est-à-dire par extermination. La mort n’est pas le plus grand sacrifice : il est plus aisé de donner sa vie que d’humilier son orgueil et d’abandonner sa haine. Et le danger de la mort, c’est qu’en donnant à l’homme l’illusion du sacrifice total, elle le détourne et le dispense d’autres sacrifices plus profonds, elle ajoute un surcroît d’orgueil à l’orgueil qu’il eût fallu dompter, et elle donne je ne sais quoi de sacré aux passions que l’homme renonce à réduire.

Il me semble encore que chez Vergniaud l’ombre de la mort prolonge en mélancolie l’incertitude de la pensée. On sent, sous la magnificence oratoire, je ne sais quelle indécision. Il souffrait sans doute de ne pas avoir un conseil précis et immédiat, une politique ferme et claire à apporter au peuple tourmenté. Lorsque Périclès, après avoir conseillé à Athènes la guerre contre Sparte, éprouva, aux premiers revers, la colère du peuple, il fit front avec une admirable sérénité : il ne parla pas de la mort, parce qu’il avait des conseils précis à donner, un plan vigoureux et net à développer, et c’est la pure