Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/712

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trueuses des idées morales, des conseils salutaires et sages pour la conduite de l’âme. Ces idées morales, elles ne les ont pas créées : elles les ont dérobées au contraire à la conscience du genre humain, et elles en ont abusé pour colorer d’une apparence de bien leur œuvre funeste. Les hommes ont cru faire le bien en se haïssant et se détruisant les uns les autres, et les religions se sont servies « de la morale pour dorer le poignard qu’elles mettaient dans nos mains ». Leur action propre n’a été que de fausser les notions du juste et de l’injuste en les façonnant sur leur principe antisocial et antihumain. « Le fanatisme de tous les temps n’a donné de notions sur Dieu et la justice que d’après l’ordre mercenaire, homicide et antisocial que ses ministres ont rendu sacré. Aussi les idées sur Dieu et sa justice, comme sur la justice humaine, sont-elles particulièrement analogues à cet ordre monstrueux et désastreux qui, comme il veut qu’il soit de la justice humaine d’avoir le droit de vie et de mort sur les hommes dans ce monde, veut qu’il soit aussi de la justice divine de les punir et de les faire brûler éternellement dans l’autre, pour se venger des crimes et des monstruosités que ce même ordre ne peut qu’engendrer. »

Il n’y a donc aucune circonstance atténuante à alléguer en faveur des religions, et l’effet terrible de toutes les institutions d’iniquité qui se complètent et se soutiennent les uns les autres est de créer « deux classes d’hommes, celle des dégradants, déprédants, pressurants et écrasants, et celle des dégradés, déprédés, pressurés et écrasés ».

Cet état antisocial est-il le résultat d’une décadence ? L’homme a-t-il dérivé d’un état premier d’innocence et de bonheur vers l’égoïsme, la corruption et l’infortune ? S’il en était ainsi, il faudrait, sans doute, renoncer à tout espoir d’atteindre un jour à la félicité et à la justice, car comment espérer que les hommes retourneront à une condition primitive dont ils sont si éloignés et où ils n’ont pas su se maintenir ?

La conception de Boissel est tout autre. Il a, tout au contraire de Rousseau, une conception optimiste de l’évolution humaine. Sans doute, l’homme doit, selon lui, se conformer à la nature ; mais il n’entend nullement par « la nature » la forme première, plus grossière et plus simple, de l’existence des hommes. En un sens, la sauvagerie première est tout à fait contraire à la nature, car l’égoïsme aveugle et bestial de l’homme dans les sociétés rudimentaires obscurcit précisément pour lui le sens le plus évident de la nature et de ses lois.

« C’est ainsi qu’originairement l’homme brute et sauvage, ne consultant que le vice naturel de sa constitution, qui est l’égoïsme aveugle et féroce, a fondé l’ordre mercenaire, homicide et antisocial, que l’égoïsme également féroce et aveugle des plus fins et des plus rusés a rendu sacré en s’emparant des puissances célestes comme ils se sont emparés et s’emparent encore aujourd’hui de nous à notre naissance, à notre mariage et à notre mort, afin de