Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/727

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leurs mains le destin du jour qui se lève ? Enfin, Robespierre sentait bien que la guerre, par le champ qu’elle ouvrait aux énergies, par les fonctions et les emplois qu’elle prodiguait aux audacieux, était secrètement désirée par bien des groupements révolutionnaires, surtout par ces hommes de coup de main, remuants et hardis, quelques-uns voraces, par ces Cordeliers que Danton, dans la crise de 1792, avait jetés au ministère de la guerre, qui s’y étaient affermis sous Bouchotte comme sous Pache et qui commençaient à jeter sur le monde un regard de prosélytisme et de proie. Avec ceux-là, qui se couvraient de la théorie d’universelle liberté humaine formulée par Anacharsis Clootz, Robespierre veut garder contact ; par son projet il incline autant qu’il le peut vers sa gauche, dans la question de la propagande armée comme dans celle de la propriété. Et lui qui bientôt se retournera âprement contre Anacharsis Clootz, l’accusant de déchaîner « l’incendie universel », il emprunte, en avril 1793, les formules mêmes de l’orateur du genre humain.

« Le Comité de constitution a absolument oublié de rappeler les devoirs de fraternité qui unissent tous les hommes et toutes les nations et leur droit à une mutuelle assistance. Il paraît avoir ignoré les bases de l’éternelle alliance des peuples contre les tyrans. On dirait que votre déclaration a été faite pour un troupeau de créatures parqué sur un coin du globe, et non pour l’immense famille à laquelle la nature a donné la terre pour domaine et pour séjour.

« Je vous propose de combler cette grande lacune par les quatre articles suivants. Ils ne peuvent que vous concilier l’estime des peuples ; il est vrai qu’ils peuvent avoir l’inconvénient de vous brouiller avec les rois. J’avoue que cet inconvénient ne m’effraie pas ; il n’effraiera pas ceux qui ne veulent pas se réconcilier avec eux. »

Y a-t-il là je ne sais quel sous-entendu à l’égard de Danton qui, au Comité de salut public, cherchait à dissoudre la coalition européenne et qui, voulant négocier, ne le pouvait qu’avec les gouvernements, c’est-à-dire avec les rois ? Mais comme cette phraséologie complaisante sur « le peuple » est loin de la sévère beauté réaliste des discours de Robespierre en 1792 proclamant avec courage que la plupart des peuples, mal préparés encore, seraient les complices de leurs tyrans !

Robespierre, arrivé au gouvernement, retranchera, même avec le couteau de la guillotine, toutes ces imprudences de propagande illimitée. Mais en avril 1793, il propose :

« — Les hommes de tous les pays sont frères, les différents peuples doivent s’entr’aider selon leur pouvoir, comme les citoyens du même État.

« — Celui qui opprime une nation se déclare l’ennemi de toutes.

« — Ceux qui font la guerre à un peuple pour arrêter les progrès de la liberté et anéantir les droits de l’homme doivent être poursuivis par tous non