Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/739

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a déjà produit de son sein assez d’idées, et son front a été visité d’assez beaux rêves qui laissent une flamme à son regard. Ce n’est pas de hardiesse intellectuelle qu’elle a besoin maintenant : c’est d’organisation, c’est d’audace réglée, c’est de méthode et de vigueur dans l’action. Si on ne s’attachait qu’aux manifestations de l’idée, il semblerait que l’avènement de la souveraineté montagnarde marque non un progrès, mais un fléchissement.

Condorcet n’est pas frappé encore ; mais il se sent suspect et l’abandon que fait la Convention, dès les premiers jours, du plan de constitution où il avait mis toute la force et tout l’orgueil de son esprit, le décourage et le rebute ; il n’a plus aucune influence au Comité de l’instruction publique : c’est Siéyès, maintenant, c’est Daunou, ce sont d’anciens prêtres ou oratoriens qui y dominent ; et, comme M. Guillaume l’a montré dans sa publication magistrale des procès verbaux du Comité de l’Instruction publique, ils abaissent le magnifique programme d’éducation conçu par le philosophe de l’Encyclopédie. Ils veulent que l’État ne s’occupe que de l’instruction élémentaire ; et ils abandonnent à la libre concurrence (peut-être aux anciennes congrégations enseignantes subsistant malgré une apparente dispersion), tout le haut et moyen enseignement. C’est humilier l’idéal révolutionnaire. Mais cette humiliation n’est que passagère, et le XVIIIe siècle retrouvera son niveau que la platitude ou la sournoiserie ecclésiastiques ravalent un moment. En ces premiers jours, la pensée de la Montagne victorieuse et menacée était ailleurs et l’obscure intrigue déprimante de Siéyès pouvait s’exercer.

Il semble de même que, dans le préambule de la Constitution que la Montagne vote en quelques jours et qu’elle est en état de présenter au peuple dès le 24 juin, se marque un fléchissement de la pensée révolutionnaire. Le projet de Condorcet, fidèle à l’esprit encyclopédique en ce qu’il a de plus libre et de plus net, ne faisait appel qu’à la raison de l’homme, et ne prévoyait pas d’autre garantie.

C’est « en présence de l’Être suprême » que la Montagne proclame les Droits de l’Homme. Voulait-elle affirmer le déisme de la plupart de ses membres ? Voulait-elle surtout rassurer les peuples encore imprégnés de la tradition chrétienne et, sans s’incliner devant la superstition des prêtres, mettre Dieu du côté de la Révolution ? Elle voulait circonscrire la Vendée, prévenir la propagation funeste du fanatisme religieux. Surtout, elle se hâtait d’offrir à la France une Constitution. Les croyants auraient réclamé si le nom de Dieu, qui figurait dans la Constitution de 1791, avait été effacé de celle de 1793 ; les athées ne se scandalisaient pas trop de « l’Être suprême », le plus court était donc d’inscrire sur la Constitution ce vague pseudonyme de Dieu.

De même, la Montagne revise le projet de Constitution girondine, pour le simplifier, pour l’alléger, pour rendre plus rapide et plus efficace le mé-