Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/75

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telle ou telle faction, mais pour dominer toutes les factions. Et s’il se préoccupait, en ces jours où se débattait le sort du roi, d’assurer l’ordre, ce n’était pas pour que la Convention pût impunément braver et heurter, en sauvant le roi, l’instinct de la démocratie parisienne ; c’était, au contraire, pour qu’elle pût frapper le roi sans être suspecte de céder à une pression extérieure et à des menaces démagogiques.

Barère était avant tout l’homme de la Convention, et c’est là ce qui assure, à travers les sinuosités de sa tactique, l’unité de son action révolutionnaire, l’honneur et la dignité, de sa vie. Elle était à ses yeux la force suprême et le moyen suprême de salut. Tout ce qui tendait à l’affaiblir, à la disperser, à la subordonner était également funeste. Maintenir et accroître le prestige de la Convention, c’était, pour Barère, sauver la Révolution elle-même. Il avait ce sentiment plus qu’aucun des hommes de ce temps.

Les Girondins s’étaient agités et ils avaient conquis la gloire avant la Convention. Ce n’est pas eux qui avaient eu l’idée de la convoquer, elle n’était pas l’expression même de leur âme, ils se flattaient de la mener de l’éblouir, mais ils ne voyaient en elle qu’une nouvelle carrière où pouvait se déployer leur génie. Dès qu’elle leur résistait, ils songeaient à la violenter ou à l’entamer. Ce sont eux qui, les premiers, eurent l’idée d’annuler les pouvoirs d’un certain nombre de représentants.

Robespierre avait du respect pour la Convention : il voyait en elle la force nationale et centrale ; c’est lui qui en avait demandé la convocation. Mais il n’oubliait pas que dans l’intervalle politique de la Législative à la Convention il avait puissamment agi par la Commune de Paris, et sans chercher à déchaîner les forces de la Révolution parisienne, il laissait ouvertes de ce côté les chances obscures de l’avenir. Surtout, il continuait à aller aux Jacobins, et c’est par là qu’il entendait dominer et régler le mouvement politique. Ils étaient à ses yeux une sorte de Convention nationale consultante, dont à la longue l’action sur la Convention délibérante devait être irrésistible.

Barère, lui, ne fréquentait pas plus les Jacobins que le salon des Roland. Je ne relève pas une seule fois sa présence aux Jacobins, où bientôt, en mars et avril 1793, il sera un moment accusé de « rolandisme ». Auprès de la Convention, qui avait reçu l’âme ardente et grande du peuple tout entier, tout lui paraissait mesquin ou anarchique. C’est en mesurant Robespierre sur cette grandeur de la Convention qu’il le déclara médiocre et petit.

Les vanités girondines et les fureurs maratistes doivent se perdre également dans la majesté de la Convention nationale, et celle-ci, pour se défendre, n’a pas besoin de menaces et d’outrages : elle n’a qu’à concentrer son action et à renvoyer au peuple, en décision révolutionnaire, la force qu’elle en a reçue. Elle est le prodigieux miroir qui concentre tous les rayons, et qui, à son foyer, volatilise toute intrigue, toute ambition partielle. Et quand vient le procès du roi, c’est la Convention seule qui doit agir, assumer la responsabilité.