Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/750

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et de la Patrie n’était pas livré éternellement à la danse folle des vagues : le rivage était en vue. Mais comment donner au vote de la Constitution cette rapidité, cette unanimité qui seuls pouvaient le rendre efficace sur les esprits, si chacun cherchait à faire prévaloir ses formules particulières ? C’est pourquoi Robespierre se rallia aux conceptions et aux définitions qui rencontraient l’assentiment le plus général. L’essentiel était d’affirmer les principes de la démocratie et de sauver la Révolution.

Dès lors, la politique de Robespierre est très nette. Il sait que la crise est redoutable. L’étranger, quoique d’un mouvement lent et d’une poussée un peu molle, pèse sur nos frontières. Valenciennes est investi. Mayence est assiégé. Les Anglais arment leurs vaisseaux pour ruiner notre commerce, et pour jeter sur nos rivages les forces de la coalition attendues par les contre-révolutionnaires et les traîtres. La plaie de la Vendée s’élargit et s’envenime. Et si les Girondins fugitifs émeuvent un moment une partie du pays, si Buzot et Barbaroux à Caen, si Salles à Nancy, font appel à la guerre civile, comment la Révolution se sauvera-t-elle sinon par l’action la plus concentrée, la plus rapide, la plus forte ? Ni les factions ne désarmeront au dedans, ni les tyrans n’accepteront les conditions de paix audacieuse et fière qui conviennent seules à un peuple libre si toutes les forces révolutionnaires ne sont pas unies : oui, il faut créer « une volonté nationale ». Ou plutôt il faut donner le plus de vigueur possible aux pouvoirs où elle s’exprime. Défendre contre toute critique et contre toute démarche la Constitution de 1793, certitude de demain, défendre et unifier la Convention, détendre et fortifier le Comité de Salut public, organe d’action et de combat, pousser la vigueur révolutionnaire jusqu’à écraser les rebelles et intimider les conspirateurs, s’abstenir des violences outrées, et ménager les faiblesses et les préjugés de la multitude : voilà, au lendemain du 2 juin, le plan de Robespierre, voilà son programme politique.

Son rôle, en cette période, est admirable de sagesse et de fermeté. Il avait conscience de sa responsabilité, et il savait combien la tâche était périlleuse. Jamais il n’avait été un démagogue. Il avait su résister, dans l’intérêt de la Révolution, aux entraînements des foules, notamment en ce printemps de 1792 où il luttait presque seul contre la politique de guerre. Mais alors il était trop loin du pouvoir pour que sa responsabilité fût accablante. Maintenant, son influence allait être décisive. Et le premier usage qu’il en devait faire était de contenir et de régler le mouvement. Il devinait bien les impatiences d’ambition de la commune parisienne, il pressentait les âpres convoitises hébertistes. Comment refouler ou modérer les désorganisateurs, ceux qui perdraient par le soupçon continu, par l’anarchie continue, la Révolution menacée, sans s’exposer à blesser la libre révolutionnaire, à amortir l’énergie et l’élan du peuple ? Terrible problème que d’emblée il mesura du regard et qui un moment le fit pâlir. Je ne crois pas que les paroles prononcées par