Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/775

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devoir de l’histoire de comprendre toutes les idées, de sympathiser en quelque mesure avec toutes les forces, de démêler tous les germes, de deviner les concordances secrètes sous l’apparente contrariété. Son devoir c’est de donner à tous les partis, à tous les individus leur juste part de lumière.

Ai-je donc desservi Jacques Roux ? Je lui ai fait large mesure de clarté et d’espace. Et, sans doute, je n’ai point diminué Hébert en dégageant son système. Je l’ai haussé au-dessus des jurons du père Duchesne. Mais on a beau regarder les événements du point de vue de l’histoire. Il est impossible de développer ce grand drame sans s’y mêler. On va réveillant les morts, et à peine réveillés, ils vous imposent la loi de la vie, la loi étroite du choix, de la préférence, du combat, du parti-pris, de l’âpre et nécessaire exclusion. Avec qui es-tu ? Avec qui viens-tu combattre et contre qui ?

Michelet a fait une réponse illusoire :

« Je siégerais entre Cambon et Carnot : je ne serais pas Jacobin, mais Montagnard. »

C’est une échappatoire… Cambon et Carnot : l’un organisait les finances, l’autre organisait la guerre. Sur eux ne pèse aucune responsabilité directe des décisions terribles ; et il est commode de s’établir entre eux. Mais comment Cambon aurait-il pu gouverner les finances, comment Carnot aurait-il pu précipiter tout ensemble et discipliner l’élan des armées si des hommes politiques n’avaient assuré, au prix de douloureux efforts et de responsabilités effroyables, la puissance et l’unité de l’action révolutionnaire ?

Si grands qu’ils aient été, Cambon et Carnot ont été des administrateurs, non des gouvernants. Ils ont été des effets ; Robespierre était une cause. Je ne veux pas faire à tous ces combattants qui m’interpellent une réponse évasive, hypocrite et poltronne. Je leur dis : Ici, sous ce soleil de juin 93 qui échauffe votre âpre bataille, je suis avec Robespierre, et c’est à côté de lui que je vais m’asseoir aux Jacobins.

Oui, je suis avec lui parce qu’il a à ce moment toute l’ampleur de la Révolution. Je suis avec lui parce que, s’il combat ceux qui veulent rapetisser Paris à une faction, il a gardé le sens révolutionnaire de Paris. Il empêchera l’hébertisme de confisquer l’énergie populaire ; mais il ne rompt pas avec cette énergie ; il défend le ministre Bouchotte, il défend le général Rossignol, il défend les officiers sortis du peuple ; mais il veut qu’ils soient jugés et surveillés de haut par la Révolution de France, non pas par l’insurrection de Paris. Il n’a pas peur de Paris, et la preuve, c’est qu’il conseille aux sans-culottes parisiens de ne pas s’enrôler en masse pour les frontières, de rester armés au cœur de Paris pour préserver la capitale de toute surprise contre-révolutionnaire.

S’il avait eu contre la Commune de mauvais desseins, il aurait fait le vide autour d’elle : il aurait expédié en Vendée ou en Flandre, ou en Roussillon, ou sur les bords du Rhin, les patriotes véhéments. Il s’applique, au con-