Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/798

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la fierté de tout un peuple libre ; c’est l’orgueil du travail affranchi et qui sait que sans lui la société périrait. Le peuple ouvrier est associé avec ses outils à la vaste espérance, et une large ouverture d’horizon sollicite le rêve des prolétaires. Eux aussi, ils étaient hier comme cette pierre d’un cachot de la Bastille :

« Cette pierre n’a jamais été éclairée. »

Maintenant, le travail est à la fois la pierre d’angle et la pierre de faîte. Et le dur granit, si longtemps enfoui dans l’ombre, luit comme du marbre au soleil.

Mais la liberté retrouvée par l’homme ne s’étendra-t-elle point à tous les êtres ? J’imagine que cette génération rêveuse et ardente, toute nourrie de Rousseau, songea au bosquet de la nouvelle Héloïse, lorsque des oiseaux délivrés « portèrent vers le ciel le témoignage de la liberté de la terre ».

Ce n’est pas seulement par cette fête auguste que la Convention attesta au monde sa force, son crédit révolutionnaire et sa foi en l’avenir. La Révolution s’affirma, en ces journées extraordinaires, par le nouveau projet de Code civil et par la levée en masse. Le Code ne réalisait pas l’égalité sociale entre les familles ; mais il préparait, à l’intérieur de chaque famille, l’égalité presque complète. Toutes les lois de la Convention tendait à abolir l’inégalité de partage entre les enfants, à assurer à tous une même part de l’héritage paternel. C’est d’abord une sorte d’instinct de conservation révolutionnaire qui dicta ces lois à la Convention. Lorsqu’elle abolit, en novembre 1792 ; le droit de substitution, elle supprima une forme féodale du droit civil. Mais il fallait aller plus loin. Comme bien souvent la fortune prédispose au modérantisme, comme la bourgeoisie, après avoir recueilli les bénéfices de la Révolution, semblait incliner à la clore, beaucoup de pères, modérés, feuillants, ou secrètement aristocrates, pouvaient faire payer leur entraînement révolutionnaire à ceux de leurs fils qui se jetaient dans le mouvement. Ils pouvaient les déshériter ou partiellement, ou totalement, au profit d’héritiers plus sages. Ainsi, le droit de tester conservé au père était une sorte de prime à l’esprit de modérantisme et de contre-révolution. C’est pourquoi la Convention a décrété, le 7 mars 1793, sur la proposition de Mailhe et de Gensonné, que « la faculté de disposer de ses biens, soit à cause de mort, soit entre vifs, soit par donation contractuelle en ligne directe, est abolie, et que, en conséquence, tous les descendants auront une portion égale sur les biens des parents. »

Gensonné, c’est la Gironde. Sur ce point, la Convention était unanime : c’est même Buzot qui voulait que l’Assemblée allât plus loin et que le droit de tester fût aboli en ligne collatérale aussi bien qu’en ligne directe. L’héritage serait réparti entre les héritiers indirects selon des règles fixes qui ne laisseraient aucune place à la volonté individuelle et arbitraire du testateur.

Le projet du Code civil lu par Cambacérès à la tribune de la Convention, le 9 août, la veille de la grande fête de la Fédération, à l’heure où tous les