Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/819

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Les agioteurs utilisent ces causes de discrédit, et ils les aggravent par leurs opérations. Mais, selon Fabre d’Églantine, ce n’est pas par des opérations sur les marchandises. Il fut un temps où les riches, ayant reçu à la suite de liquidations d’office, ou de remboursements de la dette, de grandes quantités d’assignats, et n’ayant pas dans l’assignat une grande confiance, achetaient des quantités énormes de marchandises. Ainsi ils raréfiaient la marchandise retirée du marché, et ils jetaient au contraire sur le marché une surabondance d’assignats. De là, hausse de la marchandise et baisse de l’assignat ; alors, c’est par le jeu de la marchandise et de l’assignat que se précisait la baisse de l’assignat. C’est dans cette période de l’agiotage assignats-marchandises que la loi contre l’accaparement aurait produit son plus grand effet. Car en obligeant les détenteurs des marchandises à vider leurs magasins et à reprendre des assignats en paiement de ces marchandises, elle aurait rétabli l’équilibre au profit de l’assignat. Mais l’agiotage a évolué.

« Les propriétaires d’assignats qui craignent de voir s’évanouir leur propriété entre leurs mains, cherchent à les troquer contre des valeurs effectives. D’abord, ils ont commencé par accaparer des marchandises ; mais, outre qu’ils ont craint la colère du peuple, ils ont senti que ne pouvant exporter ces marchandises, ils seraient obligés de les vendre et de n’en retirer que des assignats ; ils ont alors cessé ce commerce, et ils l’ont abandonné à ceux qui ont confiance dans l’assignat mais qui spéculent sur la misère publique.

« Les propriétaires d’assignats, que sous ce rapport nous nommerons capitalistes, ayant renoncé aux valeurs en marchandises, dont la garde est trop dangereuse et la possession trop visible et embarrassante, ne se sont pas jetés non plus sur les biens-fonds : 1o parce qu’ils n’ont pas plus de foi dans les biens nationaux que dans l’assignat qui les représente ; 2o parce qu’ils n’auraient pas trouvé à acheter assez de biens patrimoniaux ; 3o enfin parce que, d’une part, le haut prix de l’impôt les effraie, et que, de l’autre, ils veulent presque tous, du moins la majeure partie, avoir une valeur effective facile à cacher, facile à dérober à l’impôt et facile à transporter hors de France, et surtout hors de la République.

« Les louis d’or et les écus sont devenus alors l’objet de la convoitise des capitalistes. Les avares et les spéculateurs les avaient prévenus ; l’or et l’argent monnayé avaient disparu ; il a fallu acheter de ceux-ci ces louis et ces écus, et les capitalistes, les trembleurs, n’ont pu s’en procurer que par de très grands sacrifices. C’est ainsi que les louis d’or qui, après l’émigration complète des nobles, n’avaient été élevés qu’à la valeur de 40 à 50 livres assignats, qui, à l’époque du 10 août, étaient retombés à la valeur de 30 livres assignats, sont aujourd’hui montés à la valeur de 130 à 140 livres assignats.

« Mais, comme l’or et l’argent deviennent, par l’effet de cette peur, plus