Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/830

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« Toulon est peut-être pris. Nous vaincrons sans Toulon, nous vaincrons sans escadre. »

Mais oui, la nouvelle est confirmée ; et c’est affreux. Toulon n’a pas été pris. Toulon n’a pas été forcé. Toulon s’est donné à l’ennemi. Toulon a trahi la France et toute la Révolution. Les sections royalistes l’emportent, et c’est au nom de Louis XVII que l’amiral Hood est accueilli dans le grand port. Et ce ne sont pas seulement les aristocrates qui trahissent. Les chefs de l’escadre ont presque tous fait le jeu des Anglais : la plupart des matelots, avec l’amiral Saint-Julien, sont restés fidèles à la République. Mais les ouvriers de l’arsenal, fatigués d’être payés en assignats, se sont rendus pour être payés en or. Ainsi l’ennemi fait d’abord de la misère, et ensuite à cette misère il inocule la trahison. Ce poison horrible est dans nos veines : par quelle magique incantation de fureur, par quelle exsudation sanglante l’en ferons-nous sortir ?

Fabre d’Églantine a dit que l’étranger, installé au cœur de la Banque, organisait la contre-révolution par le discrédit des assignats. Barère a lu à la Convention des lettres, des comptes saisis par le Comité de Salut public et qui démontrent que l’Anglais a des agents cachés partout. Il en a dans nos places fortes pour mettre le feu aux arsenaux et aux poudrières. Il en a dans nos clubs, pour affoler le peuple souffrant. Et ces guinées anglaises achètent les ouvriers de nos ports après avoir commandité les fanatiques de Vendée.

Qui sait si l’étranger n’est pas caché jusque dans notre colère que ses propos exaspèrent pour la changer en délire ? Il faut se défendre ; il faut se venger ; il faut faire peur à la contre-révolution et au monde.

Voici le Dies iræ, où toute pitié va mourir. Des milliers de citoyens conduits par Pache et Chaumette, sont entrés à la Convention. Chaumette refait son discours de la veille à la Commune ; mais avec quel surcroît d’autorité, depuis que le crime de Toulon est connu, il dénonce la conspiration de l’étranger contre la liberté française !

« L’ennemi veut affamer le peuple pour qu’il échange sa souveraineté contre un morceau de pain.

« — Non, non, le peuple restera libre. »

C’est le cri de la Montagne, et du peuple et des tribunes.

« Vous, Montagne à jamais célèbre dans les pages de l’histoire, soyez le Sinaï des Français, lancez au milieu des foudres les décrets éternels de la justice et de la volonté du peuple ! Assez longtemps, le feu concentré de l’amour du bien public a bouillonné dans vos flancs, qu’il fasse une éruption violente !

« Plus de quartier ! plus de miséricorde aux traîtres ! (Non, non, crient d’une même voix la Convention et le peuple). Si nous ne les devançons pas, ils nous devanceront ; jetons entre eux et nous la barrière de l’éternité ! »

Ô Chaumette, l’image n’est pas très juste. Elle ne le serait que si, eux, ils