Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/837

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sable de son abstention, de sa bouderie apparente, et de l’usage qui en serait fait par des intrigants, plus qu’il n’eût été responsable par une participation directe au gouvernement. Enfin, qui sait si la Révolution laisserait à ces combinaisons le temps de se développer ? Compter sur le temps, quelle erreur en cette période de vie concentrée où les minutes valaient des siècles, où les événements brûlaient et pouvaient dévorer en un jour les plus fortes renommées !

Robespierre, lui, n’entra pas au Comité de Salut public le premier jour. Peut-être ne voulut-il pas, en y entrant le jour même où Danton en sortait, servir le calcul qu’il devinait dans la politique dantoniste, et appeler sur lui-même, par ce contraste saisissant, toute la lumière des responsabilités. Mais il ne tarda pas à comprendre que sa place maintenant était au Comité, qu’elle était au gouvernement. Il comprit qu’à rester au dehors il s’exposait au rôle ingrat d’être aux Jacobins le défenseur officieux, l’avocat bénévole du Comité toujours attaqué, et qu’il était dangereux pour lui de ne pas diriger du dedans un gouvernement dont il paraissait solidaire.

Le 27 juillet, en remplacement de Gasparin malade, il entra au Comité de Salut public. Carnot y entra le 14 août ; Billaud-Varennes y fut adjoint en septembre ; il se composa donc de Jean Bon Saint-André, de Barère, de Robespierre, de Couthon, d’Hérault-Séchelles, de Thuriot, de Prieur de la Marne, de Saint-Just, de Robert Lindet, de Billaud-Varennes, de Collot d’Herbois.

Par son impulsion, la terreur révolutionnaire s’affirma au dedans ; la force révolutionnaire s’affirma au dehors. La loi du 17 septembre ordonne qu’on dresse des listes de suspects ; et dans toute la France les comités de surveillance ont ainsi la main sur tous ceux qui tentaient d’affaiblir la Révolution.

Vingt-trois Girondins, Marie-Antoinette, Mme Roland, Bailly, furent appelés devant le tribunal révolutionnaire, c’est-à-dire à l’échafaud. À quoi bon insister sur leur défense ? Assez longuement les Girondins firent tête à l’accusation. Mais le prétoire révolutionnaire n’était qu’un champ de bataille ; ils étaient les vaincus, c’est-à-dire les condamnés. Et d’ailleurs sur tous pesaient des charges terribles : trahison si c’était la reine, guerre civile si c’étaient les Girondins. Condamnée le 16 octobre, Marie-Antoinette écrivit à Mme Elisabeth, sœur de Louis XVI, une lettre émouvante et fière :

« C’est à vous, ma sœur, que j’écris pour la dernière fois. Je viens d’être condamnée non pas à une mort honteuse, elle ne l’est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère… »

Elle refusa les consolations et les sacrements des prêtres assermentés. Debout sur la charrette qui la menait au supplice, les mains liées derrière le dos, elle paraissait fouiller du regard les maisons le long desquelles elle pas-