Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/84

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lui sous prétexte de maladie, mais en réalité pour recevoir et examiner les propositions des différents partis. » Et il ajoute ceci, qui implique qu’il n’y avait aucunement partie liée entre la Gironde et Dumouriez et qu’ils n’avaient pas songé à organiser en commun la résistance : « Les Girondins sont maintenant désignés comme des victimes à immoler à la première occasion. Mon révélateur, qui en est un, déclare qu’il vendra cher sa vie, mais il gémit sur la faiblesse de caractère de ses collègues, voués comme lui à la mort. »

Au demeurant, il y a bien des choses étranges dans cette partie des Mémoires de Dumouriez. Il prétend qu’il a essayé d’agir auprès de Robespierre : « Le général fit parler à Robespierre par un de ses amis qui lui dit que c’était à lui à sauver Louis XVI, que par là il s’immortaliserait ; que, s’il prenait ce parti, les généraux et les armées le regarderaient comme un grand homme ; que la dictature serait le prix de cette magnanimité ; que sinon il tomberait dans la même exécration que Marat, et serait toujours confondu avec lui, ce qu’il avouait lui déplaire beaucoup. » Ici l’imposture est évidente. Car si de semblables propositions avaient été faites, en ce mois de janvier, à Robespierre, il n’aurait pas manqué de les dénoncer : il aurait tiré argument, contre ceux qui voulaient sauver le roi, de la présence à Paris d’un général factieux, venu pour intriguer à l’occasion du procès du roi. Or jamais, même dans le discours violent qu’il prononça contre le sursis, même dans son discours si fielleux du 10 avril où il essaie d’engager à fond la Gironde dans la trahison de Dumouriez, il ne fait aucune allusion à ce séjour de Dumouriez à Paris en janvier 1793.

Dumouriez ajoute : « Le général avait pour courrier affidé un honnête et bonhomme nommé Drouet, frère du maître de poste de Sainte-Menehould, qui avait arrêté le roi à Varennes, et qui était un des députés de la Convention et Jacobin ; il le fit d’abord préparer par son frère le courrier, et ensuite il le fit venir ; il lui peignit avec tant d’énergie l’atrocité de ce crime, que Drouet, frappé d’horreur, promit de demander la suspension du procès à la Convention et aux Jacobins. Il ne fallait qu’un membre qui eût le courage d’en faire la proposition pour sauver le roi : personne n’osa. Drouet tomba malade, et n’opina pas au jugement. »

L’invention est romanesque ; et l’on comprend que Dumouriez mette quelque complaisance à raconter qu’il avait préparé le salut du roi précisément par celui qui l’avait perdu en l’arrêtant à Varennes. Mais Drouet, lui aussi, comment n’eût-il pas parlé ? Comment aurait-il gardé ce secret terrible ? Il fut malade, il est vrai, le 15 et ne prit pas part aux deux premiers votes. Mais le 16 il fit effort pour aller à la Convention, et vota la mort du roi sans condition, puis vota contre le sursis. Drouet, s’il avait été ainsi tenté par Dumouriez, n’aurait pas manqué de faire valoir son zèle, en dénonçant cette sorte de projet de fuite, en recommençant l’arrestation de Varennes. Il devait être très méfiant et avoir grand peur d’être soupçonné ; un