Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/843

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presque tout le peuple, c’est la passion de l’intérêt qu’ils mettaient en jeu en frappant la crédulité des hommes par les images les plus grandes. Ce n’est point sous un soleil brûlant et insupportable qu’ils appelaient le peuple dans les campagnes ; les moissons alors sont serrées, l’espoir du laboureur est rempli ; la séduction n’eût été qu’imparfaite ; c’est dans le joli mois de mai, c’est au moment où le soleil naissant n’a point encore absorbé la rosée et la fraîcheur de l’aurore, que les prêtres, environ nés de superstition et de recueillement, traînaient les peuplades crédules au milieu des campagnes ; c’est là que sous le nom de Rogations leur ministère s’interposait entre le ciel et nous ; c’est là qu’après avoir déployé à nos yeux la nature dans sa plus grande beauté, qu’après nous avoir étalé la terre dans sa parure, ils semblaient nous dire et nous disaient effectivement : « C’est nous, prêtres, qui avons reverdi ces campagnes ; c’est nous qui fécondons ces champs d’une si belle espérance ; c’est par nous que vos greniers se rempliront. »

Or, si l’Église a associé une doctrine d’illusion et de mensonge à la vie de la nature, comment la Révolution, qui est le retour des hommes à la nature et à la vérité, ne serait-elle point en communication avec la magnifique diversité des choses ? Le Comité proposait donc de nommer les mois d’après la vie même des saisons.

« Nous avons cherché même à mettre à profit l’harmonie imitative de la langue dans la composition et la prosodie de ces mots, et dans le mécanisme de leur désinence ; de telle manière que les noms des mots qui composent l’automne ont un son grave et une mesure moyenne ; ceux de l’hiver, un son lourd et une mesure longue ; ceux du printemps, un son gai et une mesure brève ; et ceux de l’été, un son sonore et une mesure large.

« Ainsi les trois premiers mois de l’année, qui composent l’automne, prennent leur étymologie, le premier des vendanges, qui ont lieu de septembre en octobre ; ce mois se nomme Vendémiaire ; le second, des brouillards et des brumes basses qui sont, si je puis m’exprimer ainsi, la transsudation de la nature d’octobre en novembre ; ce mois se nomme Brumaire ; le troisième, du froid, tantôt sec, tantôt humide, qui se fait sentir de novembre en décembre, ce mois se nomme Frimaire.

« Les trois mois d’hiver prennent leur étymologie, le premier, de la neige qui blanchit la terre : de décembre en janvier, ce mois se nomme Nivôse ; le second, des pluies qui tombent généralement avec plus d’abondance de janvier en février, ce mois se nomme Pluviôse ; le troisième, des giboulées qui ont lieu, et du vent qui vient sécher la terre, de février en mars, ce mois se nomme Ventôse.

« Les trois mois du printemps prennent leur étymologie, le premier, de la fermentation et du développement de la sève, de mars en avril, ce mois se nomme Germinal ; le second, de l’épanouissement des fleurs, d’avril en mai.