Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/852

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans la corbeille. La leçon est éclatante, j’imagine, comme ces fronts furent éclatants : quel besoin est-il maintenant de pousser à l’échafaud, comme le demande Hébert, les soixante-treize girondins qui en juin signèrent une protestation contre le 31 mai ? Dénoncés par le rapport d’Amar le 5 octobre 1793, ils auraient été envoyés au tribunal révolutionnaire et au supplice si Robespierre n’était intervenu. Il demanda un ajournement, et qu’on attendît un rapport du Comité de Sûreté générale : ils furent internés, non décapités. Quel grief hébertiste contre Robespierre ! Mais pourquoi donc Hébert s’arrêterait-il là ? Il n’y a pas que les soixante-treize. Il y a tous les appelants aussi qu’il faudrait frapper. Et, hors de la Convention, les vingt mille citoyens qui ont signé des pétitions contre le 20 juin, contre le camp sous Paris. Ce sera sur le chemin de la guillotine un vaste piétinement de troupeau ; et la force exemplaire du supplice se perdra dans une vapeur d’égorgement.

Mais du moins, à défaut de clairvoyance révolutionnaire dans l’emploi de la mort, à défaut de principes supérieurs d’administration et de tactique militaires, l’hébertisme avait-il un plan social à opposer à la politique intérieure du Comité de Salut public ? Avait-il, pour soulager les misères du peuple, pour éduquer les prolétaires, pour les soustraire au joug oligarchique de la propriété, une conception et une formule ? Je cherche et je ne trouve qu’incohérence et néant.

Jacques Roux, lui, avait un commencement de système ; or, Hébert continue contre lui, implacablement et jusqu’au bout, la lutte qu’il a commencée en février et mars, et reprise en juin. Après le coup d’assommoir de la fin de juin et du commencement de juillet, chassé de la Convention, chassé des Cordeliers, flétri par les Jacobins, Jacques Roux aurait été sans doute abattu sur le sol, s’il n’avait pas été soutenu, en son quartier des Gravilliers, par la sympathie fidèle des pauvres gens. Ce prêtre étrange qui, interrogé sur son état, au club des Cordeliers, avait répondu : « confesseur des malades », et qui, en effet, appelé par la détresse et la piété dolente des pauvres femmes, portait de grabat en grabat une consolation et une exaltation, une parole mêlée de résignation chrétienne et de révolte populaire, cet homme qui suggérait aux mourants la foi dans un monde inconnu, et qui sollicitait d’eux un suprême anathème contre le monde présent où l’iniquité de la richesse triomphait ; ce prêtre exaspéré qui redescendait des mansardes blême de pitié et de colère, et qui soufflait dans les rues et dans les boutiques la révolte des malades sans pain, des ouvriers lassés que la cherté du charbon laissait sans feu, glacés d’avance par la mort ; ce mystique furieux, athée contre l’Église, anarchiste et chrétien contre les bourgeois, révolutionnaire toujours prêt à maudire la Révolution si elle ne se justifiait point elle-même en se dépassant ; cet homme déconcertant avait ému plus d’un cœur. Obscurément, il se relevait après les coups terribles qui l’avaient presque assommé, quand ses ennemis, sans doute pour faire leur cour à la Conven-