Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/864

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l’ennemi par leur inertie, par leur timidité, ou bien ils ont été impuissants. Leur demi-fanatisme a moins de prise sur les ignorants que le fanatisme entier des autres. Si donc les prêtres constitutionnels n’ont pas produit la diversion qu’on attendait d’eux, s’ils n’ont pas servi de caution utile à la Révolution auprès des croyants et des simples, quel est leur rôle ? et pourquoi la Révolution se prêterait-elle plus longtemps à un compromis qui n’est que duperie ? Car, pour ménager les prêtres constitutionnels, pour ne pas offenser « leur foi », on est obligé de ménager les prêtres réfractaires : on ne peut pas aller jusqu’au fond des questions, et mettre à nu la racine de mensonge sur laquelle s’appuie toute l’Église, constitutionnelle ou réfractaire. Qu’on en finisse donc, et puisque le fanatisme forme autour des esprits une couche épaisse et impénétrable à la raison, puisqu’il est inutile de discuter avec des hommes qui croient par habitude machinale, c’est cette habitude machinale qu’il faut rompre. Il faut prouver à ces abêtis que le Dieu qu’ils adorent n’est qu’impuissance et néant ; et pour cela, il faut lui arracher les instruments de son culte. Il faut lui enlever les vases sacrés ; il faut les profaner à la face du ciel, pour attester aux plus grossiers des fanatiques le néant d’un Dieu qui ne sait même plus se défendre. Il faudrait des siècles à la philosophie pour libérer l’esprit par l’esprit ; c’est par la force qu’il faut briser les chaînes que l’ignorance, cette forme de l’esclavage, a rivées. Voici les calices et les ostensoirs, et qu’un âne revêtu de l’étole, coiffé de la mitre, battant ses flancs d’une hostie attachée à sa queue, promène la dérision du culte antique, et dégoûte à jamais les croyants eux-mêmes d’une foi qui se prête à d’aussi dégradantes parodies.

D’ailleurs, le peuple révolutionnaire, le peuple des sections est devenu familier avec l’Église : c’est dans les églises qu’ont lieu les réunions patriotiques. C’est du haut de la chaire que les représentants en mission prêchent la guerre pour la liberté. Mais comment permettre que dans la même enceinte s’organise la servitude des esprits, c’est-à-dire la guerre contre la liberté ? Tous ces vases, tous ces flambeaux sur l’autel, ce sont des armes de contre-révolution ; qu’on les brise et qu’on les fonde pour en faire des armes de révolution ou pour donner à la Révolution saturée de papier la monnaie d’or dont elle a besoin. Déjà la cloche est descendue du clocher, elle a été fondue, elle est devenue canon, et la corde de la cloche est un cordage des navires équipés par Jean Bon Saint-André pour les croisières contre l’Anglais.

Mais il ne suffit pas de brutaliser le culte. Il faut arracher aux prêtres eux-mêmes l’aveu qu’ils ont menti, qu’ils ont jusqu’ici trompé les hommes. Leur enlever leurs ornements est bien, mais les amener eux-mêmes à rejeter leur étole, à la piétiner sera mieux. Et le triomphe de la raison sera que les prêtres se déprêtrisent, qu’ils renient eux-mêmes le Dieu si longtemps annoncé par eux, et qu’ils révèlent aux fanatiques le vide du tabernacle où depuis des siècles résidait l’illusion humaine. Grand triomphe ! Cloots, Léonard