en toutes lettres ; c’est Delaunay qui l’a rédigé, je suis chargé de te le communiquer, et de te dire de le corriger, si tu ne le trouves pas bien, afin d’éviter les disputes. » Je lis ce projet, et bientôt je m’aperçois qu’au moyen de cette rédaction les administrateurs de la Compagnie des Indes pourraient se rattacher de nouveau à leur proie, et en écarter le gouvernement. Je fis donc sur-le-champ les corrections nécessaires pour imprimer mon opinion au projet, laquelle était toujours que les administrateurs ne puissent pas éluder la main du gouvernement, et je signai ce projet au crayon avec paraphe à chaque correction et je renvoyai ainsi le tout à Delaunay, et à mes collègues. »
En vérité, voilà qui est étrange. Je ne m’arrête pas à la remarque que fera bientôt Cambon, appelé comme témoin devant le tribunal révolutionnaire : qu’il était contraire à tous les usages de signer un projet de décret, lequel n’étant que la mise en œuvre d’un vote de la Convention, était une œuvre collective. Mais il y a dans la conduite de Fabre d’Églantine une sorte d’inconscience. Il sait bien que ni Chabot ni Delaunay ne peuvent se tromper. Il sait notamment que Delaunay a essayé de sauver la Compagnie des Indes, qu’il a combattu l’amendement proposé par lui, Fabre, et adopté par la Convention. Et quand, ensuite, c’est le morne Delaunay qui se charge de mettre au net une décision qu’il a tout fait pour empêcher, Fabre ne s’étonne pas ! Fabre ne s’indigne pas ! Bien mieux, Delaunay a l’audace de proposer à la signature de Fabre un texte contraire au vote de la Convention, contraire à l’amendement que Fabre a fait adopter, et Fabre ne se révolte pas ! Fabre ne va pas crier au Comité : « Vous avez remis le travail de rédaction à des coquins ! » Non, il se borne philosophiquement à quelques corrections au crayon, et il livre ensuite sa signature à des voleurs que lui-même prend en flagrant délit de vol. C’est une singulière insouciance que Delaunay avait interprétée sans doute comme une prudente complicité et qui l’avait enhardi au coup d’audace du faux définitif sur le décret lui-même.
Quand Danton apprit, le 15 janvier, par le rapport d’Amar à la Convention, l’arrestation de Fabre d’Églantine, son ami, il demanda d’abord qu’il fût admis à s’expliquer à la barre. Billaud-Varennes et Vadier lui répondirent avec violence. Et Vadier ajouta que l’affaire de Fabre se rattachait à celle de Chabot. Danton n’insista point ce jour-là ; mais, sans doute, il ne tarda pas à savoir avec plus de précision quelle était l’accusation qui pesait sur Fabre d’Églantine. Si vraiment il n’eut pas de doute, s’il fut convaincu que Fabre d’Églantine était victime d’une machination scélérate, qu’il succombait au crime d’un faussaire exploité par l’animosité d’ennemis politiques, par quel abandon des siens et de lui-même garda-t-il pendant deux mois et demi le silence ? Comment, au risque d’être foudroyé, n’alla-t-il pas crier aux Jacobins, à la Convention, sa certitude de l’innocence de Fabre, sa colère et son mépris contre les misérables qui essuyaient de le perdre par le faux et la ca-