Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/902

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bile, paie aussi en ce moment les fatigues du siège de Lyon, et la maladie de Couthon et de Robespierre semble, pendant un mois, livrer les Jacobins à Collot d’Herbois. Mais celui-ci les fatigue vite de son incapacité déclamatoire. Robespierre, du fond de la maison Duplay, surveille les événements. Il sait que le complot hébertiste se précise et se noue. Il sait que les attaques contre la Convention, contre le Comité de Salut public, contre ceux qui ne sont plus, selon le mot de Momoro, que « des hommes usés et des jambes cassées en Révolution », sont tous les jours plus audacieuses. Et la conclusion, enveloppée encore, commence à se dessiner : épurer la Convention ou la dissoudre, la subordonner complètement à la Commune et au ministère de la Guerre par un nouveau 31 mai, ou bien procéder à des élections nouvelles qui se feraient cette fois sous l’action directe des comités hébertistes mobilisant dans toute la France les colonnes de l’armée révolutionnaire. Ce n’est pas encore une conspiration précise, mais ce sont des rumeurs qui se propagent, dont le sens peu à peu apparaît.

Voici que Carrier, rappelé de Nantes dans la dernière quinzaine de février, se déchaîne à son tour. Lui aussi, comme Collot, plus que Collot, se sent menacé : il n’aura de salut que dans le triomphe de l’hébertisme, et les noyades de Nantes viennent à la rescousse des mitraillades de Lyon.

Robespierre comprend que pour pouvoir frapper ceux que Danton appelait les ultra-révolutionnaires, ceux que lui-même appelait les faux révolutionnaires, il faut qu’il reprenne contact avec l’énergie du peuple. Il faut qu’il rouvre devant lui les grandes espérances politiques et sociales de la Révolution. Saint-Just est revenu des armées pour cette autre bataille, et par lui, Robespierre lance ce qu’on peut appeler le manifeste révolutionnaire du Comité de Salut public.

Deux idées dominent le rapport du 8 ventôse an II. D’abord Saint-Just y proteste contre la fausse clémence. C’est la réplique officielle du Comité de Salut public au vieux Cordelier. Que signifie cette pitié subite pour ceux qui défendent la cause des tyrans impitoyables ?

« Vous voulez une république ; si vous ne voulez point en même temps ce qui la constitue, elle ensevelirait le peuple sous ses débris ; ce qui constitue une république, c’est la destruction totale de ce qui lui est opposé. On se plaint des mesures révolutionnaires ! Mais nous sommes des modérés en comparaison de tous les autres gouvernements. En 1788, Louis XVI fit immoler huit mille personnes de tout âge, de tout sexe, dans Paris, dans la rue Mêlée et sur le Pont-Neuf. La cour renouvela ces scènes au Champ-de-Mars. La cour pendait dans les prisons ; les noyés que l’on ramassait dans la Seine étaient ses victimes ; il y avait quatre cent mille prisonniers ; on pendait par an quinze mille contrebandiers ; on rouait trois mille hommes ; il y avait dans Paris plus de prisonniers qu’aujourd’hui. Dans les temps de disette, les régiments marchaient contre le peuple. Parcourez l’Europe ; il y a dans l’Eu-