Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/903

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rope quatre millions de prisonniers dont vous n’entendez pas les cris, tandis que votre modération parricide laisse triompher tous les ennemis de votre gouvernement. Insensés que nous sommes ! Nous mettons un luxe métaphysique dans l’étalage de nos principes ; les rois, mille fois plus cruels que nous, donnent dans le crime. Citoyens, par quelle illusion persuaderait-on que vous êtes inhumains ! Votre tribunal révolutionnaire a fait périr trois cents scélérats depuis un an ; et l’inquisition d’Espagne n’en a-t-elle pas fait plus ? Et pour quelle cause, grand Dieu ! Et les tribunaux d’Angleterre n’ont-ils égorgé personne cette année ? Et Bender qui faisait rôtir les enfants des Belges ! Et les cachots de l’Allemagne, où le peuple est enterré, on ne vous en parle point ! Parle-t-on de clémence chez les rois de l’Europe ? Non. Ne vous laissez point amollir. »

Et voici que Saint-Just, par une allusion directe, met en cause le dantonisme et Danton lui-même. Et de Danton il ne se borne pas à dire, comme faisait alors Robespierre, « le patriote indolent et fier ». Il l’accuse nettement de préparer une réaction générale.

« Soit que les partisans de l’indulgence se ménagent quelque reconnaissance de la part de la tyrannie, si la République était subjuguée, soit qu’ils craignent qu’un degré de plus de chaleur et de sévérité dans l’opinion et dans les principes ne les consume, il est certain qu’il y a quelqu’un qui, dans son cœur, ourdit le dessein de nous faire rétrograder ; et nous, nous gouvernons comme si jamais nous n’avions été trahis, comme si nous ne pouvions pas l’être ! La confiance de nos ennemis nous avertit d’être préparés à tout et d’être inflexibles.

« …La première loi de toutes les lois est la conservation de la République.

« Il est une secte politique dans la France qui joue tous les partis ; elle marche à pas lents. Parlez-vous de terreur, elle vous parle de clémence ; devenez-vous cléments, elle vous vante la terreur ; elle veut être heureuse et jouir. C’est ce relâchement qui vous demande l’ouverture des prisons, et vous demande en même temps la misère, l’humiliation du peuple et d’autres Vendées… On croirait que chacun, épouvanté de sa conscience et de l’inflexibilité des lois, s’est dit à lui-même : « Nous ne sommes pas assez vertueux pour être si terribles. Législateurs philosophes, compatissez à nos faiblesses. Je n’ose pas vous dire : « Je suis vicieux », j’aime mieux vous dire : « Vous êtes cruels. »

Or (et c’est ici la seconde grande idée du rapport, c’est le point par où le terrorisme politique de Saint-Just rejoint son système social), bien loin qu’il convienne de relâcher maintenant les ressorts de la Révolution, il faut aller dans le sens des forces révolutionnaires, jusqu’à donner aux pauvres qui luttent pour la liberté les biens de tous ceux qui la menacent. Ce sera un expédient d’égalité révolutionnaire, qui n’aura pas seulement pour effet d’as-