Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/908

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avait presque aucune pointe contre eux : rien ou presque rien, la phrase seulement où Saint-Just parle de ce temps étrange « qui déifie l’athéisme et où le prêtre se fait athée, où l’athée se fait prêtre ».

C’était un ressouvenir amer et presque offensant de la déprêtrisation des uns, du culte de la Raison des autres. Mais enfin tout le poids du discours semblait porter contre les dantonistes. Oui, mais après les agitations et les polémiques de Philippeaux, après l’équivoque silence de Danton, après les combinaisons et les intrigues de Fabre d’Églantine et de Bourdon de l’Oise, après le scandale contre-révolutionnaire du Vieux Cordelier, Robespierre n’avait qu’un moyen de combattre l’hébertisme : c’était de rejeter avec éclat le dantonisme, et la brutalité du désaveu qui frappait l’un annonçait la force des coups qui frapperaient l’autre.

Robespierre et Saint-Just s’étaient construit la hautaine forteresse de révolution d’où, par une double sortie, ils allaient faire place nette tout autour d’eux. Saint-Just avait pris son parti à fond, plus nettement, sans doute, plus violemment que Robespierre. Entre toutes les lignes de son rapport perce la résolution aiguë d’accabler à la fois Hébert et Danton. Contre l’hébertisme et le dantonisme il avait des griefs d’ordre politique et d’ordre économique. Au point de vue politique, il reprochait à l’hébertisme d’être la vile caricature de l’enthousiasme révolutionnaire. La violence des gestes et la grossièreté des propos ne suppléent pas aux défaillances de l’inspiration intérieure. « Il est peu de grandes âmes capables d’enivrer les hommes à la tête d’une armée. »

Il est peu de grandes âmes aussi capables de concilier dans la conduite d’une Révolution immense, l’élan héroïque de la volonté et de l’esprit et le souci de la règle.

« Je pense, disait-il, que nous devons être exaltés : cela n’exclut point le sens commun ni la sagesse. » Et dans l’hébertisme il ne trouvait ni exaltation sincère, ni prudence révolutionnaire, mais un délire d’ambition tapageuse et de cruauté cupide. Ces hommes ne sont pas le peuple : ils sont les fonctionnaires bruyants qui s’étalent au devant du peuple, captant tous les rayons et tous les souffles et laissant à la foule obscure la joie dérisoire d’applaudir.

« Lorsque je suis dans une société populaire, que mes yeux sont sur le peuple qui applaudit et qui se place au second rang, que de réflexions m’affligent ! »

Ou encore (quelques jours plus tard) :

« Dans les sociétés populaires, on voyait le peuple, uni à ses représentants, les éclairer et les juger ; mais, depuis que les sociétés populaires se sont remplies d’êtres artificieux qui viennent briguer à grands cris leur élévation à la législature, au ministère, au généralat ; depuis qu’il y a dans ces sociétés trop de fonctionnaires, trop peu de citoyens, le peuple y est nul. Ce n’est plus lui qui juge le gouvernement, ce sont les fonctionnaires coalisés