Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/917

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bins, l’arrestation des hébertistes, va jusqu’à dire que Ronsin a proposé à un des conjurés « de se rendre à Francfort pour avertir nos ennemis du plan de conspiration et du moment de son exécution »,on voit jusqu’où peuvent aller en ces périodes meurtrières la calomnie et la légende ; et l’on devient très circonspect à juger. Mais en ce qui touche le rôle destiné par Ronsin à l’armée révolutionnaire dont il était le chef, les témoignages s’accordent si bien à la logique de la situation et à la nécessité même des choses, qu’il est malaisé de ne pas les accueillir. Ronsin n’avait d’autre outil en mains que l’armée révolutionnaire, et il ne pouvait rien que par elle. Il a songé certainement à lui donner le plus de puissance possible et d’efficacité. Billaud dit aux Jacobins que « la conspiration avait des ramifications jusque dans l’armée. » Comment en serait-il autrement, puisque le Père Duchesne, à gros paquets et à grands frais, était envoyé dans les camps par le ministère de la Guerre ?

« Tout a été tenté, ajoute le sombre Conventionnel, pour engager les soldats à déserter l’armée de la République », et, sous la phrase perfide, on démêle, en effet, la vérité probable. Les hébertistes donnaient sans doute aux volontaires, à tous ceux qui pourraient obtenir des congés ou des permissions, le mot d’ordre de se concentrer à Paris où ils seraient incorporés à l’armée révolutionnaire, largement payés et associés à la révolution nécessaire qui, enfin, débarrasserait la France des intrigants et des traîtres. Des témoins déclarent que Ronsin marquait la plus vive admiration pour Cromwell, et ici encore on démêle des analogies, d’ailleurs superficielles et grossières, qui pouvaient séduire Ronsin. C’est avec une armée révolutionnaire que Cromwell châtia les traîtres et organisa le pouvoir. C’est avec une armée révolutionnaire que Cromwell brisa le Parlement déshonoré et mutilé, le Parlement-Croupion. Et n’était-ce point aussi une Convention-Croupion que cette assemblée que le peuple avait déjà dû entamer d’une centaine de Girondins, qui allait être amputée encore des membres gangrenés de l’affaire Chabot ? Que restait-il donc ? le vicieux Danton et le cauteleux Robespierre.

Cromwell-Ronsin dispersera sans doute ces débris, et la France révolutionnaire, sillonnée en tous sens d’une bonne armée de sans-culottes, choisira des hommes neufs. Le nouveau pouvoir sera aisément populaire. D’abord il débarrassera le peuple, il débarrassera la cité de cet énorme abcès des prisons qui va grossissant tous les jours et qui ne se vide que goutte à goutte. Dans les prisons il y a des patriotes fervents que la faction a incarcérés ; ils seront appelés à la liberté et à la vengeance. Ils sont les indicateurs tout désignés du grand juge ; quant aux autres détenus, ils seront fauchés en quelques jours, c’est la méthode humaine, celle qui, en épouvantant les coupables, sauve les innocents, celle aussi qui épargne aux victimes les angoisses de l’attente, au peuple la nausée de la guillotine quotidienne et d’une terreur qui, en se prolongeant, perd ses prises sur les âmes blasées.