Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/918

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le nouveau pouvoir révolutionnaire amènera l’abondance, et, s’il le faut, il distribuera au peuple les trésors que le Comité de Salut public a accumulés à la Monnaie et au Trésor public ; quel besoin a l’État de ce métal puisqu’il peut créer des assignats ? Mais surtout il est probable que les conjurés hébertistes qui, par les bureaux de la guerre, connaissaient et maniaient tout le mécanisme des approvisionnements militaires, ravitailleraient largement Paris. Le procédé était simple. Une partie des approvisionnements immenses que le Comité de Salut public acheminait aux armées serait réservée à Paris ; et les armées seraient invitées à vivre révolutionnairement sur les pays occupés.

C’est donc une sorte de coup d’État militaire et populaire que l’hébertisme préparait, un Dix-huit Brumaire démagogique qui aurait déshonoré, ensanglanté et ruiné la France, qui en aurait fait une Pologne de septembriseurs, dévorant en quelques jours toutes ses ressources matérielles et morales, le crédit reconstitué de ses assignats, le crédit de ses armées dont l’admirable discipline humaine dans les pays conquis arrachait maintenant à Mallet du Pan lui-même un témoignage d’admiration ; oui, une Pologne démagogique, incohérente, impuissante, bientôt livrée à la contre-révolution européenne comme une proie dépecée et démembrée. C’est l’avenir du monde, pour deux siècles peut-être, qui se jouait dans cette lutte de l’hébertisme et de la Convention.

Le Comité de Salut public épiait toutes les démarches de l’adversaire. Averti par la déclaration insurrectionnelle du 4 mars, il attendait ou qu’une démarche imprudente lui livrât les hébertistes, ou que les indices qu’il recueillait sur le projet de conjuration lui permissent d’émouvoir l’opinion et de rallier le peuple autour de lui. Il savait les faiblesses de l’ennemi, les hésitations et les poltronneries d’Hébert. Il savait que le soir même du 4 mars, quand fut faite aux Cordeliers la motion insurrectionnelle, Vincent constata tout haut que « bien des mines s’allongeaient ».

Il savait qu’aux armées la propagande hébertiste ne parvenait pas à détourner vers Paris l’élan de patriotisme révolutionnaire tourné contre la vieille Europe. Il savait que Collot d’Herbois ne songeait après tout qu’à se sauver lui-même, et qu’à condition qu’on fît semblant de n’avoir pas entendu le discours de Carrier et qu’on ne créât pas ainsi, contre le noyeur de Nantes, un précédent redoutable au mitrailleur et assommeur de Lyon, le déclamateur ambigu et prudent laisserait faire. Le Comité savait aussi que le rapport révolutionnaire du 8 ventôse avait excité dans le peuple le plus vif enthousiasme. Il admirait que le même gouvernement qui avait discipliné les forces, organisé la Révolution et la nation, ouvrît aux citoyens de vastes perspectives sociales. C’était l’avènement d’un monde nouveau dans les convulsions du combat. Oui, le Comité de Salut public pouvait agir, il pouvait se découvrir et frapper l’hébertisme ; il serait suivi.