Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/942

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plus largement le repos. Toutes les énergies, toutes les minutes, fournissent, comme les substances chimiques, leur rendement maximum.

De même que la Révolution donne l’exemple de l’activité véhémente et tendue, elle donne l’exemple aussi des vastes mouvements de fonds. Songez qu’elle dépense plus de trois cents millions par mois, près de quatre milliards par an et que le revenu total de la nation était évalué par la Commission des finances à trois milliards. Elle jette ainsi à la guerre, à la liberté, à l’avenir, plus que le revenu annuel total de la France. Terrible dépense qui dévorerait en se prolongeant toutes les réserves de l’avenir ; mais quelle excitation de tout l’organisme ! quelle fièvre de travail et d’industrie pour soutenir la fièvre de combat ! Et comment dans ce prodigieux déchaînement de la vie nationale, y aurait-il eu pour les travailleurs détresse et misère ? Thibeaudeau en une page de ses Mémoires a noté cet énorme déploiement de force et de richesse.

Sur cette activité excitée et vaste, la nature jetait un sourire, une lumineuse promesse de fécondité. L’hiver de 1794 fut court. Un printemps précoce prodigua aux arbres les fleurs, et l’été fécond et splendide besogna lui aussi, largement et vite, comme si la terre et le ciel étaient gagnés par l’ardeur et la hâte des hommes.

Ainsi que tous les travailleurs, tous les citoyens produisaient pour la liberté et pour la patrie ; comme ils faisaient librement le don de leurs forces à la Révolution menacée, ce noble surmenage volontaire ne brisait pas les âmes comme un surmenage forcé et servile. Les ouvriers gardaient la force de penser, et ils songeaient à instituer des règlements de travail qui leur assureraient une vie libérale et bonne. En l’an II, les ouvriers de l’Imprimerie nationale demandent à la Convention la journée de neuf heures, huit heures de travail et une heure de lecture publique ; une souple et humaine discipline qui permette aux ouvriers d’assumer la part de travail de l’ouvrier absent, afin que chacun puisse, de l’assentiment de ses camarades, se ménager des congés et du repos ; enfin, l’institution des secours de maladies et des retraites de vieillesse.

Que de souffrances inutiles eût épargnées au prolétariat l’entière victoire de la démocratie républicaine ! Silencieusement, la grande pensée de Condorcet ouvrait l’avenir. Dénoncé à la Convention par Chabot pour s’être permis quelques critiques à l’adresse de la Constitution et avoir exprimé ses préférences pour le projet rapporté par lui, il reste caché durant des mois dans une modeste maison de la rue Servandoni, et là il ne s’abandonne ni au désespoir ni à la colère. Il trace d’une main magistrale « le Tableau des Progrès de l’Esprit humain ».

Les mémoires de Pétion et de Buzot ne sont qu’un long cri de rage et de vengeance. Condorcet s’oublie lui-même et ne songe qu’à l’humanité. Cette Révolution dont il fut un des plus nobles ouvriers, dont il va être, dont