Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/959

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est venue du dehors apportée par le baron de Batz ; c’était un projet de famine. Il est très généralement reconnu aujourd’hui dans l’Europe, que l’on comptait sur la famine pour exciter le courroux populaire, pour détruire la Convention, et sur la dissolution de la Convention pour déchirer et démembrer la France. La circulation des denrées est nécessaire, là où tout le monde n’a pas de propriété et de matière première. Les denrées ne circulent point là où l’on taxe (c’est Saint-Just qui souligne)… Il faut tirer les assignats de la circulation en mettant une imposition sur tous ceux qui ont régi les affaires, et ont travaillé à la solde du Trésor public. »

Oui, mais c’est précisément à propos de ses vues que Saint-Just se rappelle à lui-même la loi de la prudence, qui est d’attendre, de laisser mûrir les idées.

« On eût présenté la ciguë à celui qui eût dit ces choses il y a huit mois ; c’est beaucoup d’être devenu sage par l’expérience du malheur. Que cet exemple nous apprenne à ne point maltraiter les hommes sévères qui nous disent la vérité.

« Il ne faut pas que les gens de bien en soient réduits à se justifier du bien public devant les sophismes du crime. On a beau dire qu’ils mourront pour la patrie ; il ne faut point qu’ils meurent, mais qu’ils vivent, et que les lois les soutiennent. Il faut qu’on les mette à l’abri des vengeances de l’étranger. Je conseille donc (c’est encore Saint-Just qui souligne) à tous ceux qui voudront le bien, d’attendre le moment propice pour le faire afin d’éviter la célébrité que l’on obtient en le faisant trop tôt. »

Toutes ces formules cachent mal un embarras immense. Il manquait à Robespierre, quelque grand qu’il fût, précisément les qualités nécessaires à la solution du problème. Certes, il avait appris depuis des mois à assumer les responsabilités les plus directes et les plus terribles. Depuis le 31 mai, il semblait avoir renoncé aux formes enveloppées, aux allusions vagues. Il allait droit au but, droit à l’adversaire. Mais qu’on le remarque, c’est seulement quand le système qu’il préfère est attaqué que Robespierre se découvre et s’engage à fond. Or, il voit après le 31 mai que l’autorité du Comité de Salut public et de la Convention est le salut de la Révolution ; et contre toutes les intrigues qui menacent le Comité et la Convention, il lutte courageusement. Puis, il craint que l’hébertisme ne discrédite et ne perde la République. Il marche droit à l’hébertisme. Mais, dès que les adversaires lui font défaut, dès qu’il n’est plus obligé par la précision des attaques à la précision des réponses, il retourne à ses habitudes un peu vagues et cauteleuses.

Quand après l’élimination de l’hébertisme et du dantonisme, il est en réalité le seul maître de la politique, responsable des événements, il n’a qu’un moyen de gouverner en effet, de rallier autour de lui les esprits : c’est de dire nettement où il veut conduire la Révolution ; et il ne le dit pas ; et il se trouve qu’à côté de lui le fier et courageux Saint-Just, comme s’il renonçait à défier