Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/960

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la mort, conseille le silence et l’attente. Funestes temporisations qui laissaient se produire toutes les incertitudes. De plus, après les grandes et sanglantes épurations de Germinal, le devoir de Robespierre était de rassurer autour de lui les révolutionnaires. Les factions étant brisées, il n’y avait aucun intérêt à s’acharner sur des individus, même s’ils avaient été liés à ces factions, même s’ils avaient pratiqué la plus détestable politique. Cela, Robespierre le savait ; et il avait limité le plus possible le sacrifice. Il avait sauvé les soixante-treize Girondins. Il s’était opposé à ce que Boulanger, Pache, Henriot fussent enveloppés dans la proscription des hébertistes. Il n’avait pas touché à Carrier, malgré l’horreur que lui inspiraient les crimes de Nantes. Il ne s’était point élevé au Comité de Salut public contre Collot d’Herbois. Mais il ne suffisait point de n’avoir pas frappé ces hommes. Il fallait leur donner confiance en l’avenir. Il fallait leur donner l’impression et même la certitude que leurs excès seraient imputés à la fièvre révolutionnaire et qu’on ne leur ferait point payer, une fois cette fièvre tombée, les violences peut-être inévitables des jours mauvais. Il fallait ménager de même les craintes de ceux qui ayant cédé, comme Tallien à Bordeaux avec sa belle amie La Cabarrus, à l’éblouissement du pouvoir et du plaisir, voyaient dans les paroles trop souvent répétées d’austérité, de vertu, de morale, une menace à leur vie même.

Ou Robespierre se condamnait à la politique de l’échafaud à perpétuité, ou il fallait qu’il annonçât, qu’il pratiquât une large amnistie révolutionnaire pour tous les égarements de la Terreur, pour ses frénésies sensuelles, comme pour ses frénésies sanglantes. Et toutes les énergies de révolution qui avaient été un moment ou surexcitées par un fanatisme de violence ou corrompues par une ivresse de passion et de volupté devaient espérer leur place dans l’ordre révolutionnaire nouveau plus calme, plus ordonné et plus pur.

Enfin, plus Robespierre était puissant, plus il importait qu’il ménageât l’amour-propre de ses collègues du Comité de Salut public et du Comité de Sûreté générale, qu’il les associât à toutes ses pensées et à tous ses actes. Comment pouvait-il détendre, apaiser, organiser la Révolution sans le concours du Comité de Salut public ? Et comment pouvait-il amener à une large politique des fanatiques sombres comme Billaud-Varennes, des déclamateurs effrénés et compromis comme Collot d’Herbois, s’il ne les attirait point à lui, peu à peu, par la confiance, la franchise, la cordialité ? Robespierre ne sut point imposer autour de lui la confiance. Dans l’âpre lutte où il avait dû assumer tant de responsabilités sanglantes, son orgueil avait encore grandi. Il s’était écrié en août 1793 :

« La Révolution est perdue, si un homme ne se lève pas. »

Il s’était levé, mais obligé bientôt à frapper de toutes parts et d’être en quelque sorte le répartiteur de la mort, il avait contracté un pli de hautaine tristesse. Il était peu fait pour ces communications cordiales qui étaient pour-