Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/972

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combat, elle délogeait les Autrichiens du champ de bataille de Fleurus et les obligeait à la retraite ; le 22 messidor, elle entrait triomphalement à Bruxelles. À chaque victoire nouvelle, il devenait plus difficile à Robespierre de frapper le Comité de Salut public ; et c’est pourquoi Barère dira plus tard : « Les victoires s’acharnaient sur Robespierre comme des furies. » L’heure de la crise est venue.

Robespierre va rêver à Ermenonville sur les traces de Rousseau ; il va demander à l’innocence première de ses songes et de ses pensées la force d’aller jusqu’au bout dans la voie sanglante ; et le 8 thermidor il porte la bataille devant la Convention. Il se plaint qu’on ait d’abord accusé le Comité de Salut public de dictature et de tyrannie et que peu à peu cette accusation ait été concentrée sur sa seule tête. Il se plaint que pour le perdre on lui prête le dessein d’amener la Convention à se détruire elle-même, à se livrer en détail. Il affirme que ces craintes sont vaines ; que « les fripons » sont en petit nombre ; et il demande si la République, qui ne pouvait vivre que par la vertu, sera sacrifiée à cette poignée de fripons.

Quoi donc, et suffirait-il que la Convention lui livrât quelques têtes encore pour que toute difficulté eût disparu ? Quelle serait donc le lendemain sa politique ? Et la menace à peine déguisée que le discours contenait contre Cambon suffirait-elle à rendre possible une nouvelle politique financière et économique ?

Ces « fripons », en petit nombre, Robespierre ne les nommait pas ; et ainsi la menace, qu’il avait voulu limiter, étant vague, était immense. Il n’y avait pas de Conventionnel qui ne fût sous le couteau. Et puis, quand cette « poignée de fripons », aurait été abattue, quelle assurance avait la Convention que Robespierre ne lui demanderait pas le lendemain et le surlendemain des fournées nouvelles ?

Je ne sais pourquoi Buchez et Roux disent que le tort décisif du discours de Robespierre fut de n’être que la préface du discours que Saint-Just voulait prononcer le lendemain, et où il annonçait que le Comité de Salut public remettrait ses pouvoirs à la Convention. Ce fut la suprême tactique de Saint-Just se séparant à demi de Robespierre. Rien n’autorise à dire que ce fut la pensée de Robespierre lui-même. Sans doute il n’était pas prêt à dissoudre le gouvernement révolutionnaire et à rentrer désarmé dans cette Convention où fermentaient tant de colères, de rancunes et de craintes. Et si le vague de son discours du 8 thermidor fut une faute mortelle, ce fut une faute inévitable. Dans la voie où il était entré Robespierre ne pouvait pas dire : Voici quel sera le dernier pas. Il s’était condamné à réserver toujours la possibilité de frapper encore.

Cependant le prestige de Robespierre n’était pas dissipé encore. Son discours fut applaudi. Mais Charlier, Cambon, Amar, Billaud-Varennes qui la