Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que se heurtèrent le plus vivement les opinions. Le droit au travail fut le centre de la bataille. Ce fut la position maîtresse où les assaillants voulurent s’établir et dont, en somme, ils ne purent conquérir la possession. Seulement nous ne parlerons pas maintenant de cette lutte capitale ; nous lui réservons l’ample développement qu’elle mérite dans la seconde partie de cet ouvrage où nous retracerons l’évolution des faits et des théories économiques. Il nous suffit pour le moment de suivre les changements apportés à l’organisation politique et administrative de la France.

En cette matière toute Constitution a pour but de déterminer les fonctions dévolues soit à la société, soit aux différentes collectivités qu’elle comprend, et le domaine laissé à la libre action individuelle. Celle de 1848 a, comme les autres, essayé d’opérer ce partage litigieux.

Elle reconnaît « des droits et des devoirs antérieurs et supérieurs aux lois positives et indépendants de ces lois ». Elle affirme ainsi que l’homme ne s’aliène pas tout entier dans le pacte social, qu’il échappe pour une portion de son être et de sa vie à l’intervention législative, et aussi que contre la réalité oppressive il se réserve le recours à la protestation et à la désobéissance.

Elle n’a pas marqué la frontière, toujours difficile à délimiter, où peut et doit cesser la soumission. Mais elle s’est du moins efforcée d’indiquer les principaux droits garantis aux citoyens. Liberté d’aller et de venir, inviolabilité du domicile, respect de la personne humaine attesté par l’abolition de l’esclavage et de la peine de mort en matière politique, liberté de professer leur religion, de se réunir, de s’associer, de pétitionner, d’exprimer leur pensée par la voie, de la presse et autrement, liberté même d’enseigner, voilà une belle série de droits formellement ou implicitement reconnus aux individus. Mais, quand on y regarde de près, on s’aperçoit qu’ils sont moins complets qu’il ne semble ou répartis de façon inégale. Exception faite pour la propriété de l’homme sur l’homme, qui avait été détruite par le Gouvernement provisoire et qui ne se relève pas ; exception faite encore pour l’article qui ordonne que nul ne sera distrait de ses juges naturels et qui interdit toute création de tribunaux extraordinaires (un article condamnant les transportations sans jugement qui s’opéraient en ce moment même), les restrictions sont nombreuses et inquiétantes.

« Nul ne peut être arrêté ou détenu que suivant les prescriptions de la loi » ; mais la loi ne dit pas, comme en Angleterre, que l’homme arrêté sera interrogé ou relâché dans les vingt-quatre heures. Le texte n’est pas moins imprécis, lorsqu’il s’agit du domicile ; il n’est pas de nature à empêcher les perquisitions plus ou moins légales. La peine de mort est abolie en matière politique ; mais la fusillade remplace à merveille l’échafaud, et quand Victor Hugo, Coquerel, de Tracy demandent la suppression totale de cette peine irréparable qui suppose l’infaillibilité du juge et qui ressemble à une vengeance, une majorité où les catholiques et les militaires sont en grand nombre