Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/122

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de personnes qu’on l’ajourne à la loi électorale. Ces précautions contre le gouvernement sont poussées jusqu’à la défiance ; et en voici la preuve : l’Assemblée est permanente ; pendant les vacances elle est représentée par une Commission de vingt-cinq membres qu’elle choisit parmi ses membres et qui doit la convoquer en cas d’urgence ; tous les représentants sont inviolables, sauf en cas de flagrant délit.

Un point surtout suscita de vifs et longs débats. Y aurait-il une ou deux Chambres ? Duvergier de Hauranne, Odilon Barrot, Tocqueville firent valoir l’exemple de l’Angleterre, de l’Amérique, de la Suisse, Ils montrèrent comment deux Assemblées pouvaient se servir de contrepoids et de frein mutuel, empêcher les coups de tête, les élans irréfléchis, tandis qu’une Chambre unique risquait d’aboutir soit à la plus irresponsable et à la plus oppressive des dictatures, la dictature collective, soit à un conflit aigu avec le pouvoir exécutif seul debout en face d’elle. Contre cette argumentation solide se dressait la tradition du parti républicain ; la Convention n’avait pas connu le partage, non plus que la Législative et la Constituante. Dans des circonstances exceptionnelles, disait Lamartine, la dictature de la nation est nécessaire et elle ne peut s’exercer ni par un homme, ni par deux Chambres qui se déchireront. Parmi les républicains avancés beaucoup comptaient sur la facilité qu’aurait une Assemblée unique pour décréter la révolution sociale, Proudhon lui-même demandait que le peuple français déléguât tous ses pouvoirs à une Assemblée de ce genre. De plus, on ne savait pas comment composer une seconde Chambre ; on craignait de voir se relever une chambre des Pairs ou tout au moins un Sénat conservateur qui serait un obstacle sur la route de la démocratie. Il fut donc décidé que le pouvoir législatif n’aurait qu’une tête.

On crut remplacer la seconde par le Conseil d’État. L’institution n’était pas nouvelle ; mais on espérait lui insuffler un esprit nouveau. Les membres, indéfiniment rééligibles, étaient nommés pour six ans par l’Assemblée et ne pouvaient être révoqués que par elle. Ils étaient chargés de soumettre à un examen préalable les projets de loi déposés par le gouvernement ou par les députés ; de veiller à ce qu’ils fussent convenablement libellés et sans contradiction avec les lois antérieures. Avec des fonctions de contrôle sur certains corps, ils avaient à préparer et, en certains cas, à faire les règlements d’administration publique. Ils pouvaient exercer par délégation une parcelle de l’autorité législative. Mais ils n’avaient, somme toute, que voix consultative. Le Conseil d’État restait une émanation de l’Assemblée dont il dépendait, et, sans contact avec le peuple, il n’offrait point la solidité qui résiste, mais qui soutient ; il était un très faible tampon entre la Chambre et le gouvernement.

Pouvoir exécutif. — Si importante que soit la confection des lois en un État, l’organisation du pouvoir exécutif fut ce qui préoccupa et passionna le plus les hommes de la Constituante. Dès le 11 mai, Senard avait demandé