Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/127

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quatre ans ! Il ne peut ni dissoudre ni proroger l’assemblée. C’est simplement fermer toute issue régulière aux conflits probables. On essaie vainement de rogner sa liste civile. Il est déclaré responsable et Mathieu de la Drôme propose qu’il puisse être suspendu, révoqué même par un décret, rendu aux deux tiers des voix de l’Assemblée. Mais on n’écoute pas ces conseils de prudence. Loin de là ! On donne encore au président l’initiative des lois. Un vertige ou un découragement étrange semble s’être emparé des républicains. Le 26 octobre, avant même que la Constitution soit votée définitivement, l’Assemblée fixe une date pour l’élection du Président, comme si elle était impatiente de signer ainsi sa propre abdication, C’est seulement lors de la seconde lecture qu’elle se reprend un peu. Elle stipule pour ses membres le droit d’initiative parlementaire. Thouret, sous prétexte que Louis Napoléon est venu faire acte de candidat à la tribune, propose à nouveau son amendement, excluant de la Présidence tout membre des familles qui ont régné sur la France. Il est cette fois appuyé par plus de 150 représentants. Il adjure les autres de ne pas s’abandonner à une confiance désastreuse. « Faisons que l’histoire ne dise pas de nous : Ils avaient en mains une Constitution et une République, et ils n’ont pas su se servir de l’une pour sauver l’autre. » Mais Dufaure et Cavaignac, lui-même, par une délicatesse excessive envers un concurrent, interviennent et l’amendement est rejeté. En revanche on décide que le vice-président ne pourra être choisi parmi les parents ou alliés du président ; seulement qu’importe cette ombre qu’est le vice-président[1]. On leur impose à tous deux un serment d’autant plus solennel qu’ils seront seuls à le prêter : « En présence de Dieu et devant le Peuple français représenté par l’Assemblée nationale, je jure de rester fidèle à la République démocratique, une et indivisible et de remplir tous les devoirs que m’impose la Constitution ». Mais un serment, barrière d’acier et barrière superflue pour les honnêtes gens, n’est qu’une toile d’araignée pour les autres. Et il faut croire que l’Assemblée n’a qu’une foi médiocre en ce frêle rempart, témoin le soin qu’elle prend de maintenir à son bureau le droit de requérir les troupes nécessaires à sa sécurité, témoin aussi cette décision qu’en cas d’attentat du Président le pouvoir exécutif passe de plein droit à l’Assemblée qui poursuit devant la Haute-Cour le Président parjure.

Pouvoir judiciaire. — Il ne suffit pas de mettre sur le papier des mesures terribles ; il faut avoir les moyens de les exécuter. Un des derniers articles confie la Constitution « à la garde et au patriotisme de tous les Français. » Or, les Français étaient-ils en état de défendre ce dépôt ? Pour le savoir, il faut considérer l’organisation de ce que les uns appelaient « le pouvoir » et

  1. Le vice-président fut Boulay de la Meurthe. C’est à peu près tout ce qu’on peut dire d’intéressant à son sujet.