Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/146

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d’une chaumière de la Vendée) l’histoire d’une famille villageoise qui a fait fortune par les choux et les raves, bien autrement utiles que tout le fatras des socialistes, et pour combattre ces novateurs, qui osent contrarier l’œuvre de Dieu en touchant à la société organisée d’après des règles éternelles, il recommande dé lire un autre petit livre du même maréchal Bugeaud. Sa politique sociale se résume en cette phrase : « Les riches ne sont que les administrateurs, les tuteurs, les directeurs des pauvres, et il est évident que Dieu a permis qu’il y en ait pour qu’ils jouent ce rôle. » Thiers à son tour (Du Communisme) soutient que l’on ne fait pas sa part au communisme, qu’il prend forcément tout l’homme, qu’il entraîne le travail, la jouissance, la vie en commun, qu’il éteint l’activité humaine, supprime la liberté, et aboutit au suicide chrétien du couvent.

Tout cela était destiné au peuple. Mais Pierre Dupont, chantait en ce temps-là :


Le socialisme a deux ailes,
L’étudiant et l’ouvrier.


Il fallait des livres plus graves, plus médités, pour reconquérir les intelligences bourgeoises envahies par le socialisme. Et alors l’Académie des sciences morales et politiques, vivante citadelle des saines doctrines, prenait part au combat. Cavaignac lui avait demandé d’intervenir « pour pacifier les esprits en les éclairant » ; et Thiers écrivait son volume : De la propriété. Cousin quelques pages sur Justice et Charité, son disciple Damiron un traité de la Providence. Adolphe Blanqui, l’Abel du Caïn révolutionnaire, Villermé, Charles Dupin, Hippolyte Passy, faisaient une multiple enquête sur la situation de la classe ouvrière à laquelle ils prêchaient la patience ; Mignet donnait en exemple la vertu pratique du bonhomme Franklin ; Barthélémy Saint-Hilaire essayait d’établir les principes de la vraie démocratie. Le roman venait à la rescousse de la science officielle, témoin cette tirade de Louis Reybaud dans Jérôme Paturot à la recherche de la meilleure des Républiques : « Oh ! les infâmes ! Avoir ainsi déchaîné sur Paris les brutes du cabaret et les bêtes féroces du bagne ! Pour des systèmes ! Mais, insensés que vous êtes, ne voyez-vous pas qu’aux yeux de ces misérables, ivres de sang et de boisson, il n’y a qu’un système, le butin… » Le théâtre faisait chorus. Au Vaudeville, qui s’élevait au centre du quartier de la Bourse, on jouait : La propriété, c’est le vol, une pièce réactionnaire de Clairville et Cordier, qui, quelques mois plus tôt, faisaient jouer : Les filles de la liberté, pièce républicaine. Et sur la scène, pour que nul ne s’y méprit, Adam apparaissait tenté par un serpent… à lunettes qui avait le visage de Proudhon. En province, à Lille, dans une autre pièce intitulée : A bas la famille ! un socialiste portait un toast à l’adultère. Mais, par une transition très aisée, les attaques passaient du socialisme à la République. Tous les soirs, au Vaudeville de Paris, on ressassait l’impôt des 45 centimes, on raillait Messieurs les 25 francs, on représentait le Peuple las