Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/164

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ralliement ; quelques barricades s’esquissèrent dans le voisinage. Mais des soldats de la ligne pénétraient sans peine dans la cour de l’établissement et empoignaient quelques députés, pendant que les autres et Ledru-Rollin avec eux s’échappaient par une porte dérobée. L’auréole du sacrifice leur manquait comme celle de la victoire.

Cette émeute, qui n’avait été qu’un feu de paille. eut en province des répercussions plus graves. Dans la ville de Lyon, qui n’avait pas eu, comme Paris l’année d’avant, sa saignée prolétarienne, la Croix-Rousse se barricadait, 80 soldats et 150 ouvriers tombèrent dans la lutte. Près de 1.500 arrestations suivaient le rétablissement rapide de la tranquillité. Ailleurs, à Toulouse, à Strasbourg, à Perpignan, surtout dans quelques villages de l’Allier, il y avait quelques velléités de soulèvements. Mais en trois ou quatre jours toute cette effervescence de surface était comprimée, apaisée.

Les conséquences de cette pitoyable échauffourée sont hors de toute proportion avec son importance. Elle fournit un prétexte merveilleux à sévir. À Paris, triomphe de l’armée et de Changarnier, proclamé à son tour, suivant la formule consacrée, le sauveur de la société ; saccage de plusieurs journaux, de la Démocratie pacifique en particulier, par des gardes-nationaux de l’ordre, saccage que l’autorité sanctionne en suspendant dix organes de la presse avancée ; dissolution des légions en qui l’on soupçonne un esprit républicain ; révocation de Pouillet, le savant directeur du Conservatoire, pour l’unique tort de n’avoir pas su fermer l’entrée de l’établissement ; puis renouvellement de l’état de siège, qui devient le régime normal de la capitale et qui s’étend à Lyon et aux départements circonvoisins. À l’Assemblée, la Montagne décapitée, et, qui pis est, discréditée ; Ledru-Rollin et ses compagnons en fuite ou en prison, renvoyés devant la Haute-Cour, et parmi eux Considérant, Félix Pyat, plusieurs des sous-officiers qui venaient d’entrer à la Chambre ; les autres Montagnards, obligés de venir à la tribune désavouer la prise d’armes avortée ; Cavaignac. au nom des modérés, accablant les défenseurs de la Constitution vaincus sans combat ; le règlement rendu plus sévère de façon à exclure et à frapper dans leur traitement les représentants qui se permettront une trop grande verdeur de langage. Après quoi l’on s’occupe de châtier ceux qui ont mal voté » dans les dernières élections. Des ouvriers l’on n’attendait pas mieux : mais Tocqueville nous dit l’effarement et la terreur des conservateurs en constatant qu’une partie des paysans et la majorité des soldats avaient donné leur voix à la République rouge. « C’étaient, écrit-il, les deux ancres de miséricorde qui venaient de se briser au milieu de la tempête. » Il importait d’empêcher ce scandale de se renouveler. Donc guerre aux rouges et à la propagande démocratique !

Pour l’armée, sur la proposition de Montalembert, un décret spécial et tardif, rendu au profit de Changarnier, autorise la réunion sur une même tête du commandement de la garde nationale avec celui d’une division militaire ;