Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/165

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on réintègre dans leurs grades, malgré Charras, les officiers généraux révoqués par le Gouvernement provisoire, et parmi eux Castellane ; dans chaque régiment on expédie en Afrique, après les avoir tenus soixante jours en cellule, les soldats et sous-officiers qui se permettent de manifester des opinions avancées ; on transfère à l’autorité militaire, en cas d’état de siège, tous les pouvoirs dont l’autorité civile est revêtue pour le maintien de l’ordre et de la police et l’on renvoie aux Conseils de guerre la connaissance de tous les crimes et délits contre la Constitution et contre la paix publique. Quant à la propagande dans les villes et les campagnes, des circulaires aux procureurs généraux et aux préfets prescrivent la surveillance rigoureuse des clubs, des associations de tout genre, des colporteurs, en sus des poursuites à exercer contre quiconque criera : Vive la République démocratique et sociale ! ou arborera un emblème rouge. Puis on tire des cartons, où elles attendaient, des lois de réaction qui étaient toutes prêtes avant le 13 juin. On enveloppe la presse d’un nouveau réseau de règlements plus serrés. Toute offense au Président de la République est poursuivie d’office. Toute provocation aux militaires pour les détourner de l’obéissance due à leurs supérieurs, toute attaque aux lois et à l’inviolabilité des droits qu’elles ont consacrées sont punies de l’amende et de la prison. Toute souscription pour indemniser quiconque aurait été frappé d’une condamnation pécuniaire est interdite. Le colportage des imprimés et gravures est soumis à une autorisation sans cesse révocable. Le dépôt de toute brochure traitant de matières politiques ou d’économie sociale est obligatoire vingt-quatre heures avant toute publication ou distribution. Aucun journal ou écrit périodique ne peut être signé par un représentant du peuple en qualité de gérant responsable. Obligation à tout journal d’insérer en tête les communiqués de tout dépositaire de l’autorité publique. Droit à la Cour d’assises de suspendre pour trois mois tout journal qui se sera rendu coupable de provocation à l’insurrection. Telles étaient les principales dispositions de la loi du 27 juillet 1849. Odilon Barrot déclarait avec une intrépide assurance qu’elle n’atteignait en rien le droit de discussion. Thiers aux républicains qui s’en plaignaient répondait avec une ironie cuisante qu’elle était le simple complément de celle qu’ils avaient eux-mêmes proposée un an plus tôt par l’organe de Marie. Montalembert, appuyant de toutes ses forces cette loi répressive, faisait avec éclat pénitence d’avoir jadis revendiqué la liberté et il expliquait ce reniement de ses anciennes amours par un subtil distinguo : « J’ai adoré avant tout, disait-il, l’Église et sa liberté ; je n’ai pas changé d’un iota, en cela. J’ai adoré ensuite la liberté, mais la liberté aristocratique… ; jamais l’égalité, jamais la démocratie, jamais la Révolution. » S’il fallait choisir entre la Révolution et l’absolutisme, il choisissait l’absolutisme et il déclarait que, si les journaux conservateurs devaient un jour prêcher la guerre civile et dire : Aujourd’hui la plume, demain le fusil — il consentait d’avance à ce