Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/176

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du maître ou de la maîtresse. Même avec ces suppléments le traitement ne s’élevait pas bien haut. D’après les calculs officiels, en 1840, la moyenne du traitement annuel de l’instituteur arrivait à 454 francs. Et point de retraite. Il en existait une sur le papier ; on avait décidé qu’on ferait pour l’établir des retenues sur le maigre salaire ; mais rien n’avait été organisé[1].

Pauvres maîtres d’école ! Modestes et laborieux défricheurs des intelligences populaires ! On les laissait misérables, affamés, humiliés devant le curé, devant les gros du village, devant leurs élèves mêmes. Qui s’étonnera que ce prolétariat intellectuel ait été, après 1848, l’ardent propagateur des doctrines démocratiques et socialistes ?

Pour en finir avec l’enseignement primaire à cette époque, il faut ajouter qu’on avait créé quelques Salles d’asile pour les petits enfants ; des ouvroirs où les fillettes devaient apprendre à la fois un peu de calcul et un peu de couture ; quelques écoles d’apprentissage dans les villes ouvrières (à Mulhouse, à Paris, etc. . Mais c’étaient pour la plupart des œuvres catholiques ou patronales. On s’était aussi préoccupé des adultes ; il existait pour eux des cours du soir et des cours du dimanche. On avait fondé des écoles de régiment pour les soldats illettrés ; enfin dans les grandes villes des sociétés privées — toutes de dévouement — (L’Association polytechnique, la Société philomatique) à Paris, à Metz, à Bordeaux, essayaient de combler les tristes lacunes de l’instruction populaire.

Mais, malgré ces efforts méritoires, ces lacunes restaient béantes. Dans l’Enquête que j’ai déjà citée, on voit en maint endroit, presque partout, reparaître, parmi les vœux de la population, la création d’écoles, surtout d’écoles ayant un caractère pratique et professionnel, soit industriel, soit agricole. La loi de 1833 avait prévu des écoles primaires supérieures, dont les maîtres auraient un traitement minimum de 400 francs. Mais elles étaient restées à l’état de projet. La bourgeoisie régnante — et ce fut une de ses fautes les plus graves — ne tenait pas à répandre la lumière parmi ses frères de la classe pauvre.

L’enseignement secondaire était, au contraire, selon le cœur de la classe dirigeante. Destiné à perpétuer son pouvoir, il reposait sur l’enseignement du latin et du grec, dont la connaissance, même très imparfaite, suffisait à tracer une ligne de démarcation très nette entre les « fils de famille », comme disait une expression très significative, et les enfants du peuple.

On ne lésinait pas en faveur de la minorité bourgeoise à laquelle il s’adressait. Sur le budget total de l’instruction publique, prévu pour 1848 à 18 millions et qui se réduisait à 16 à cause des recettes à défalquer, la part afférente à l’État était à peu de chose près la même pour cet enseignement que pour l’instruction primaire (3 millions environ). Les élèves que fournissaient

  1. Voir à ce sujet E. Fournière. — Le règne de Louis-Philippe.