Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/195

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de toutes les congrégations à enseigner. En l’espèce’ il s’agissait surtout des Jésuites, chassés par une loi récente, Thiers et Cousin regimbent. Montalembert s’arme d’une phrase de J. Simon : « La République… ne connaît pas les corporations. .. ; elle ne voit devant elle que des professeurs. » Dupanloup insiste, fait observer que, si l’on accorde à tout Français âgé de vingt-cinq ans la liberté de fonder un établissement d’enseignement secondaire, il n’est pas possible d’en écarter une catégorie de citoyens plutôt qu’une autre ; que toutes les sectes, même celle des quakers, étant autorisées, on ne peut mettre hors la loi des gens « parfaitement innocents de toutes les accusations portées contre eux. » L’abbé l’emporta sur tous les points. Thiers, prenant le bras de Cousin, s’écriait : « Il a raison, l’abbé. Oui, nous avons combattu contre la justice, contre la vertu. Nous leur devons réparation. » Et il accepta les Jésuites à condition qu’on ne parlerait pas d’eux. Il disait aussi, et c’était peut-être plus franc : « La société vaut bien l’Université. »

Le projet accordait tout cela et même davantage. L’Église obtenait plus que la liberté : le privilège. Le diplôme de bachelier, exigé de qui voulait fonder un établissement d’enseignement secondaire, pouvait être remplace par un brevet de capacité que délivrerait un jury spécial où devait toujours figurer un ministre du culte. De plus, les établissements libres pouvaient obtenir des communes, des départements et de l’État une subvention et des locaux pris dans les bâtiments qui avaient été attribués à l’Université lors de sa fondation. L’Église se préparait à hériter de son ennemie abattue.

L’enseignement secondaire était ainsi atteint à son tour et menacé dans son avenir. Vatimesnil allait demander que l’enseignement de l’histoire et de la philosophie fût conforme aux dogmes de l’Église ; de Lasteyrie que celui de la philosophie fût supprimé dans les lycées. L’abbé Gaume, dans un gros volume, dénonçait ce qu’il appelait : Le ver rongeur des sociétés modernes ; et c’était l’esprit de l’antiquité classique, qui, depuis le XVIe siècle, avait encouragé le raisonnement indépendant ; c’était le libre examen, fils de la Renaissance, père de la Réforme, et manifestement inspiré du démon : « car Lucifer fut le premier protestant » ; c’était « le paganisme socialiste » de ces anciens qui n’avaient pas été capables de donner une bonne définition de la propriété. Il fallait christianiser l’enseignement des auteurs païens, quand on ne pouvait pas, ce qui valait mieux, les remplacer par les Actes des Martyrs ou les ouvrages des Pères de l’Église ; il fallait, en un mot, élargir la brèche par laquelle le christianisme rentrait dans l’éducation. On pouvait s’en remettre aux Conseils, qu’instituait le nouveau projet de loi pour répondre à ces désirs de l’abbé Gaume, et il suffit de jeter un coup d’œil sur les programmes des lycées et collèges du temps pour constater que « les classiques chrétiens » y prirent une place considérable.

Un projet sur l’enseignement supérieur devait compléter l’œuvre qui