Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/264

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définitive ; il ne devait y parvenir que douze ans plus tard, en 1863, quand il publia son ouvrage sur le principe fédératif. Il découvre alors dans la fédération, dans l’union souple établie par ce système entre les différents groupes, la conciliation qu’il n’avait pas su voir entre la liberté et l’autorité. Il le reconnaissait loyalement :

« Si, en 1840, écrivait-il le 2 novembre 1862, j’ai débuté par l’anarchie, conclusion de ma critique gouvernementale, c’est que je devais finir par la fédération, base nécessaire du droit européen et, plus tard, de l’organisation de tous les États. »

Mais, en attendant cette synthèse finale, les truculentes négations de Proudhon faisaient leur chemin dans le monde. On peut admirer tant qu’on voudra la verve de ses critiques et l’éclat de ses formules ; on ne peut nier qu’il ait agi sur les partis avancés de son temps comme un dissolvant ; il est certain aussi que ses théories de liberté absolue, par une réaction très naturelle, ont contribué à jeter la France dans les bras du despotisme, auquel il pardonnait trop aisément : car il qualifiait le Coup d’État « de polissonnerie de Collège » et il s’en consolait en disant ; « Les rouges sont finis ; moi, je reste. »

Ayant même orientation, mais ne sacrifiant pas la société à l’individu, apparaît ou reparait alors la législation directe par le peuple. C’est le système où le peuple se passe de représentants et vote en personne les lois qui le régissent. Pratiqué jadis dans Athènes et dans Rome, usité encore dans les petits cantons Suisses, recommandé par Rousseau pour des États très restreints, il est, en 1848, remis en honneur par un Allemand, Rittinghausen, qui se rattache par ses origines à la vieille noblesse française et par ses convictions à la démocratie. Il est bientôt connu et approuvé de Considérant qui le vante comme la vraie solution du problème politique. Voici en quoi il consiste : D’abord en une critique fort vive du système représentatif ou parlementaire, critique qui fut peut-être à la fois effet et cause du discrédit où tombèrent les deux Assemblées de la République ; danger de voir l’intérêt du plus grand nombre remplacé par l’intérêt d’une petite minorité appartenant pour la plus grande part à la classe aisée ; désaccord fréquent et inévitable entre les désirs des électeurs et le vote des élus -, mauvaise composition des Assemblées, soit que les élections soient frelatées, soit que les intrigants et les bavards y aient plus de chances de succès que des hommes de valeur peu ambitieux et peu bruyants, soit enfin que la difficulté de connaître à fond les candidats oblige les gens à choisir parmi eux à l’aveuglette ; puis encore, dans l’Assemblée même, la chasse aux portefeuilles, les voix données à un ministre en échange de quelque faveur, les compromissions sans nombre en vue d’une réélection, etc.. Mais comment remédier au mal ? En appelant le peuple à voter sur des choses, non plus sur des hommes. En lui remettant le soin de régler les affaires publiques qui sont les siennes. Pour cela diviser le peuple par sec-