Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/266

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On objectait à Rittinghausen la complication que pouvait avoir la question posée et par conséquent le risque d’obtenir des réponses imprécises ou trop nombreuses. Il répliquait qu’on peut, pour toute question, prévoir un petit nombre de réponses possibles, le plus souvent oui, non ou ni l’un, ni l’autre ; que, par suite, il était facile, après un court apprentissage, d’aboutir à une consultation rapide et à des votations décisives. On lui disait encore que le peuple était incapable de se donner lui-même une bonne législation. Il répondait qu’en ce cas il fallait lui ôter le droit de nommer des représentants, car il n’est pas plus aisé d’apprécier la valeur d’une personne que le bien fondé de telle ou de telle mesure. On ajoutait que le peuple avait trop à faire pour s’ériger par surcroit en législateur. Il reconnaissait qu’il faudrait simplifier la législation, ce qui ne serait pas un mal ; mais il soutenait qu’il suffirait de quelques principes très nets pour régler quantité d’affaires embrouillées par les Codes ; qu’avec deux soirées par semaine, au début, les citoyens auraient parfaitement le temps de faire le nécessaire et que bientôt même ils seraient à court de besogne.

L’expérience partielle, faite depuis lors en Suisse, a prouvé que ce n’est pas là trop attendre d’une démocratie dont l’éducation politique est développée. Mais, sous la République de 1848, les hommes d’action du parti démocratique se seraient contentés d’une approximation de ce système. Ledru-Rollin, le père du suffrage universel, comme on l’appelait, avait compris, après les étranges résultats donnés par les élections, combien il importe de l’organiser, de façon que la loi soit vraiment l’expression de la volonté générale. Il se reportait à la Constitution de 1793, disait en reprenant les idées et les paroles de Robespierre : Le peuple ne peut aliéner sa souveraineté aux mains d’une Assemblée de représentants qui le représentent mal ; il reste seul et toujours souverain ; il ne peut avoir que des délégués, des mandataires révocables, responsables et ne pouvant légiférer sans l’assentiment de leurs mandants. Cet assentiment, qui peut être formel ou tacite, est facile à constater. L’Assemblée des mandataires rédige, propose, discute et vote des projets de lois, qui n’acquièrent force de lois qu’après avoir été soumis à la sanction du peuple. C’est (pour prendre des termes modernes) le référendum obligatoire pour toute loi importante. La même Assemblée pourvoit aux nécessités secondaires par des décrets, pour lesquels le consentement populaire est présumé. La difficulté est de distinguer ce qui doit être matière à lois et matière à décrets. Mais elle n’est pas insurmontable, puisque des dispositions analogues fonctionnent sans encombre dans la Confédération Suisse. Toutefois le Gouvernement direct par le peuple (c’est le nom qui fut donné en France au système, nom inexact, puisqu’il s’agit de régler l’exercice du pouvoir législatif et non du pouvoir exécutif ; suscita parmi les républicains et même parmi les proscrits de vives polémiques. On vit se reproduire entre eux des divisions qui rappelaient la pre-