Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/296

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admit seulement quelques corporations nouvelles parmi les Sociétés du Tour de France. Puis les querelles reprirent entre adeptes des différents rites comme entre aspirants et compagnons du même rite ; et le Compagnonnage, après une renaissance apparente, continua de s’enfoncer dans sa lente décadence. Le temps n’était plus à ces groupes fermés, faits pour la petite industrie, pour des pays où les communications étaient difficiles, pour des époques où le mystère était une nécessité vitale.

Tandis que certains groupements se replient sur le passé, d’autres s’élancent éperdûment dans l’avenir. Ils ont de vastes ambitions. Ils veulent non seulement se fédérer, de façon à réunir toutes les branches d’une industrie ; mais ils songent à s’étendre sur tous les métiers. Par exemple, l’Association fraternelle de l’Industrie française, fondée à Lyon le 21 Janvier 1849, dit ceci dans le préambule grandiloquent de ses statuts :


« L’association par corporation ou pour une industrie spéciale porte avec elle un cachet d’exclusivisme et d’isolement que repousse la doctrine de la solidarité et de la fraternité universelle. L’association générale est la seule qui puisse offrir d’une manière facile et certaine les avantages dont sont privés les travailleurs.


Mais cette tendance à une fédération universelle, à une constitution du prolétariat tout entier en un seul et formidable groupement se heurte à la difficulté même de la tâche ; elle est contrariée par des rivalités, des jalousies, des incompréhensions, des ignorances ; elle est entravée par les dirigeants qui la redoutent au point que, le 28 janvier 1849, fut interdite la simple Fédération des industries du livre ; elle apparaît en maint endroit, mais obscure, intermittente, imprécise. Le temps n’est pas encore venu où la séparation par tranches verticales entre les différents corps de métier peut faire place à la division par couches horizontales entre employeurs et employés.

La plupart des Associations professionnelles se proposent des buts moins lointains et très divers : secours aux malades, aux infirmes, instruction pour les enfants, retraites pour les vieillards, achat de terrains pour le jardinage {Porcelainiers de Limoges), séjour à la campagne (les canuts de Lyon et leurs « châteaux »), chant, musique, plaisirs en commun etc. Mais leur but essentiel, comme on peut aisément le pressentir, c’est de régler les conditions de la production, c’est de modifier le contrat de travail qui lie l’ouvrier au patron.

L’article 13 de la Constitution contenait deux dispositions, qui n’étaient point contradictoires, mais qui pouvaient le paraître, bien qu’elles fussent en réalité complémentaires l’une de l’autre. Il garantissait la liberté du travail ; il promettait l’égalité des rapports entre patrons et ouvriers. Cela pouvait donner lieu a deux interprétations différentes. Ou bien un contrat collectif, débattu entre une association d’ouvriers et un patron, de façon à compenser le nombre des écus d’un côté par le nombre des individus de l’autre, de créer ainsi deux forces équivalentes, seul moyen de réaliser la liberté et